Marion Mauchaussée

Dans les musées, la précarité généralisée de l’emploi

6 octobre 2022

Crise de vocation ou ras-le-bol des mauvaises conditions de travail ? Dans les musées français, le marché de l’emploi n’est pas au beau fixe. Analyse.

« Ne vous attendez pas à avoir un jour un CDI ! » Tels furent les propos tenus récemment lors d'une réunion de bienvenue des nouveaux salariés dans un grand musée parisien. Comme dans beaucoup d'institutions culturelles, les nouveaux venus sont souvent salariés en CDD, vacataires, stagiaires, parfois en contrat d'apprentissage, auto-entrepreneurs ou financés par du mécénat. Ils et elles sont plutôt jeunes, et presque systématiquement mal rémunérés : le salaire d'un assistant ou commissaire d’exposition en CDD oscille autour de 1 500 euros nets par mois. D’année en année, l’emploi dans les musées n’a cessé de se précariser. Et rien n’indique que la situation va s’améliorer. Si aux États-Unis les employés des musées commencent à s’organiser en syndicats pour dénoncer des salaires injustes et des conditions de travail anormales, en France le silence reste de mise. « Je suis fatiguée de ce climat d’omerta, renforcé par la précarité des contrats – qui reste commun à beaucoup de milieux, confie une travailleuse du secteur culturel. Mais quand on est précaire et qu’on a mis tellement en jeu (santé physique et psychique, sécurité financière et matérielle, vie de famille, etc.), témoigner c’est prendre le risque de s’exclure d’un milieu auquel on a déjà beaucoup trop donné. » La précarité a des conséquences diverses, et parfois graves. « Ce qui me révolte c’est cette souffrance au travail, poursuit la jeune femme. Les risques psychosociaux touchent tout le monde, même si la précarité du contrat est un facteur aggravant, et tous les secteurs : surveillance, sécurité, bâtiment, médiation, administration, communication, conservation, régie, production… »

Dans les établissements de Paris Musées, on voit une hausse de l’absentéisme des agents de catégorie C. En cause : les conditions de travail. En 2020, dans un entretien à Documentations.art, le collectif des vacataires de Paris Musées s’indignait : « Comment voulez-vous louer un appartement à Paris avec des contrats aussi précaires, qui ne vont jamais au-delà de quatre mois ? La vacation, qui paye un employé à la tâche, conduit à des abus, comme la non prise en compte des accidents du travail ou de trajets, des arrêts maladie ou des congés enfant malade, sans oublier l’absence de compensation pour les dimanches travaillés ». Comment expliquer qu’une telle précarité de l’emploi soit devenue la règle ?

Des choix politiques

Frédéric Poulard, professeur de sociologie à l'université Paris Cité, et Marion Mauchaussée, post-doctorante au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), ont enquêté sur le sujet et rédigé une série d’articles, en attendant la publication prochaine d’un rapport. Ils sont arrivés à la conclusion suivante : la dégradation de l’emploi dans les musées résulte de divers choix politiques qui fragilisent la fonction publique. Un élément émerge : les musées font de plus en plus appel à des contractuels. C’est surtout dans les années 1980 que leur nombre a commencé à augmenter, suite aux contraintes liées au statut juridique des établissements publics. « Dans les années 1980 le système mutualiste de la Réunion des musées nationaux est remis en cause, expliquent les chercheurs. Il est  contesté notamment par les grands établissements comme le Louvre et par la Cour des comptes. » Une vague d’autonomisation voit le jour avec le Louvre puis Versailles. Elle s'accompagne d'une délégation d’une partie des personnels du ministère vers les musées. Mais sans pour autant que soient débloquées des enveloppes supplémentaires. Les deux auteurs pointent également le fait que dans les musées près de 55 % des contrats sont signés pour moins d’un an, dont 14 % pour moins d’un mois. Une part très importante d'emplois non titulaires que le ministère de la Culture et les musées ont tendance à minimiser.

 

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