Assurance chômage : une nouvelle réforme qui cible les droits
30 septembre 2022
« Je traverse la rue et je vous trouve un travail! ». Qui aurait pu penser que cette phrase, adressée par Emmanuel Macron à un jeune horticulteur en recherche d’emploi, annonçait un projet majeur de réforme de l’assurance chômage ? C’est lors des journées européennes du patrimoine, en 2018, que le président lui promet ainsi, non pas un emploi dans son secteur d’activité, mais dans l’hôtellerie et la restauration ou le bâtiment, les secteurs qui recrutent…
Présenté en Conseil des ministres le 7 septembre dernier, le projet de loi s’inscrit dans cette logique. Inspiré du modèle canadien, il vise en particulier à moduler les droits à l’indemnisation en fonction de la conjoncture économique. Lorsque la conjoncture est bonne, il y aurait plus d’opportunités d’emplois, donc la durée d’indemnisation serait réduite.
Au contraire, lorsque la conjoncture est mauvaise, il est plus difficile de trouver un emploi, les droits à l’indemnisation seraient alors plus longs. L’objectif est désormais d’inciter les chômeurs à accepter n’importe quelle offre d’emploi, même une offre à faible rémunération, dans un autre secteur et à temps partiel. Pour Denis Gravouil, responsable Emploi-Chômage à la Cgt, cette réforme poursuit un double objectif : « Le premier est un objectif caché : celui de faire des économies sur le dos des chômeurs. Le second est un objectif avoué, celui de se servir de l’assurance chômage comme un instrument au service du patronat. »
Une assurance sociale ou un instrument de culpabilisation des chômeurs ?
Face au projet gouvernemental, l’ensemble des organisations syndicales est de nouveau uni, de la Cgt en passant par la Cfdt, Fo, l’Unsa, Solidaires, la Fsu et les organisations de jeunesses. «Nous essayons de batailler en se coordonnant sans pour autant oublier les désaccords profonds », précise Denis Gravouil. Dès le 9 septembre dernier, dans un communiqué commun, l’intersyndicale a dénoncé la volonté ainsi affichée de « stigmatiser une nouvelle fois les demandeurs d’emploi en diminuant leurs droits à l’indemnisation (…) », une stigmatisation « profondément injuste ».
Ce qui se joue est une conception diamétralement opposée de ce que devrait être la protection sociale, explique en substance Denis Gravouil. Si la réforme devait être mise en œuvre, «ce ne serait plus une assurance sociale mais un instrument au service du patronat pour culpabiliser le demandeur d’emploi qui reste au chômage lorsque la conjoncture s’est améliorée», explique-t-il. Bien loin de la philosophie initiale de l’assurance chômage qui vise à compenser le revenu d’un emploi perdu en attendant de retrouver du travail, le gouvernement est dans une logique de protection sociale réduite à un simple filet de sécurité.
Et tente de répondre à la « pénurie » de main d’oeuvre, en réglant ainsi les problèmes d’attractivité de certains secteurs d’activité ; secteurs pourtant en tensions du fait d’horaires atypiques ou imprévisibles, de salaires trop bas, de mauvaises conditions de travail et des contrats de courte durée. Pour y parvenir, l’objectif est de contraindre les demandeurs d’emploi à accepter des offres d’emplois sous la menace de la radiation.
Seuls 40% des demandeurs d’emplois sont indemnisés
Sociologue et chercheure au Centre d’études de l’emploi et du travail, Claire Vivès a déjà étudié l’évolution des droits au sein de l’assurance chômage sur une période de 40 ans. Ce qui l’autorise à interroger l’image des demandeurs d’emplois que sous-tend cette réforme. Pour elle, la figure du « chômeur profiteur » est un mythe.
« Un allocataire sur deux qui touche des droits travaille et il faut aussi regarder le montant des allocations (960€ en moyenne par mois)», explique-t-elle. Et d’ajouter que ceux qui touchent des indemnités sont massivement des travailleurs précaires avec de faibles droits, souvent en dessous du seuil de pauvreté…
Le mythe du « chômeur profiteur » ne tient pas, également, si l’on considère les contrôles toujours plus nombreux effectués par Pôle Emploi. Ils montrent que la part des chômeurs sanctionnés pour absence de recherche active est en réalité minime, inférieure à 10% pour les demandeurs d’emploi indemnisés.
Claire Vivès se questionne d’ailleurs sur les problèmes de recrutement des employeurs. « Il n’y a quasiment aucune offre sans candidat, juste ceux qui candidatent ne conviennent pas. A aucun moment ne sont remises en question les pratiques de sélection» s’étonne-t-elle. En revenant aux principes mêmes de la protection sociale : « Lorsque vous êtes au chômage, vous avez droit à un revenu pour y faire face. En matière d’assurance sociale, la question de la conjoncture économique est hors sujet. » Pour la sociologue, pouvoir refuser un emploi est un droit et doit le rester.
Lire la suite sur la page du journal Options