L'autonomie des demandeurs d'emploi au prisme de la relation d'accompagnement
22 septembre 2025
Issu d’une réponse à appel à projet de recherche du conseil scientifique de Pôle emploi dédié à l’autonomie des demandeurs d’emploi, le présent rapport rend compte des résultats du projet AUPE – AUtonomie au sein de Pôle Emploi – cofinancé par l’Institut national pour la jeunesse et l’éducation populaire.
L’autonomie des destinataires est devenue une priorité des politiques sociales personnalisées dans les années 2000. Les programmes d’accompagnement à l’emploi retiennent généralement une conception (in)capacitaire de l’autonomie ancrée dans une définition fonctionnelle comme capacité à faire sa recherche d’emploi seul. L’évolution de l’offre de service de Pôle emploi a pu même entraîner un resserrage autour de l'autonomie numérique. Pourtant, si l’approche par les compétences individuelles, qu’elles soient techniques ou mêmes sociales, permet de saisir un certain nombre de malentendus qui peuvent advenir dans l’accompagnement ou dans la relation de service entre demandeur d’emploi et Service public de l’emploi, elle ne permet pas de rendre compte de la complexité de l’expérience de recherche d’emploi et de la variété des relations d’accompagnement qui, sous formes d’attentes réciproques entre accompagnateur et accompagné, déterminent les manières de mobiliser les institutions. Cette étude propose alors de revenir au sens étymologique et sociologique de l’autonomie qui renvoie à un rapport à la norme. On peut alors considérer la recherche d’emploi comme une pratique sociale institutionnalisée qui, à ce titre, fait l’objet de régulations conjointes issues de sources normatives diverses, concernant à la fois la finalité (l’emploi) et les moyens à mettre en œuvre pour l’atteindre (la « bonne » méthode, les étapes à suivre, le calendrier, les outils à utiliser, le bon recours à l’offre institutionnelle).
Il apparait que l’autonomie promue par Pôle emploi répond moins à un idéal d’émancipation individuelle qu’à une transformation organisationnelle liée à la dématérialisation et à la désintermédiation du marché du travail. L’objectif est de former les demandeurs d’emploi à utiliser les outils numériques de manière autonome, sans intervention systématique des conseillers. L’autonomie s’avère d’abord et avant tout être un outil pour segmenter l’offre de services et d’accompagnement, concentrant le temps des conseillers sur les profils dits les plus éloignés de l’emploi. Cette logique vise donc moins l’autonomie réelle qu’une recherche d’efficacité gestionnaire, par laquelle certains publics sont orientés vers des services en ligne sans interaction directe. Pour de nombreux chômeurs, l’autonomie signifie alors faire sans Pôle emploi, soit par choix, soit par dépit face à une offre de services jugée inadaptée, stigmatisante ou inefficace. Trois types de non-recours aux services sont identifiés : par rejet du contrôle (éviter la surveillance ou la culpabilisation), par résistance au stigmate (refus d’être assimilé à une population disqualifiée), par civisme (ne pas vouloir « abuser » de ressources perçues comme réservées à plus démuni).
L’enquête montre alors que l’autonomie dans la recherche d’emploi est fortement conditionnée par l’entourage familial, les réseaux personnels et les ressources matérielles (logement, mobilité). Par-delà la mise en avant de son importance, le « réseau » joue un rôle plus informel que stratégique : il aide à mieux s’orienter ou à trouver des opportunités via des connaissances, mais reste très inégalement distribué selon l’origine sociale, le niveau d’étude ou l’expérience. Il n’en reste pas moins que l’autonomie des demandeurs d’emploi ne peut pas être réduite à une conception individualisante. Elle se construit dans des relations d’interdépendance : conseillers, proches, réseaux familiaux ou sociaux. Certains usagers, considérés comme autonomes par l’institution (compétents numériquement, actifs dans leur recherche, etc.), ont pourtant bénéficié d’un accompagnement décisif, parfois inattendu, de la part de conseillers ou de membres de leur entourage. Cette perspective remet en cause une lecture binaire de l’autonomie, en montrant que l’action « autonome » est souvent soutenue par des ressources invisibilisées par les politiques publiques. Le rapport s’attache alors à examiner le rôle des ressources familiales, sociales et matérielles. Le cas des jeunes et les femmes en recherche d’emploi donne toutefois à voir le rôle ambivalent de leur entourage : s’il permet régulièrement d’assurer un filet de sécurité, de temporiser l’urgence du retour à l’emploi et d’explorer des choix plus satisfaisants, il peut aussi contraindre la recherche (prise en charge de tâches domestiques, ajustement aux besoins familiaux, dépendance en matière de mobilité et de logement). Le chômage peut ainsi être intégré dans une économie domestique où les rôles sont redistribués, parfois au détriment de la reprise d’emploi. L’autonomie apparait alors comme le résultat d’arrangements contraints, d’interdépendances sociales, économiques et institutionnelles.
22 septembre 2025
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