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Réformer l’économie américaine : pour Joe Biden, le temps presse

Thérèse Rebière Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et Isabelle Lebon Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen Normandie

Publié le 9 novembre 2021 Mis à jour le 9 novembre 2021

Élu sur un programme économique ambitieux, Joe Biden a dû gérer en priorité les conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. En parallèle, il tente de profiter de la majorité relative dont les Démocrates disposent au Congrès jusqu’aux élections de mi-mandat de 2022 pour essayer de faire adopter rapidement une série de mesures destinées à réformer l’économie américaine, quitte à revoir ses ambitions à la baisse pour convaincre certains élus de son propre camp.

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Au Congrès : une majorité fragile

Alors que la Chambre des Représentants leur était déjà acquise, les Démocrates se sont assuré le contrôle du Sénat en remportant début 2021 les deux sièges de la Géorgie.

Cette situation permet théoriquement à Joe Biden de faire adopter les réformes proposées lors de sa campagne. Cependant, si les Démocrates disposent à la Chambre d’une avance suffisante (220 sièges contre 212 aux Républicains) pour garantir une adoption assez aisée, il n’en est pas de même au Sénat.

En effet, l’égalité (50-50) du nombre des sénateurs issus de chacun des deux grands partis ne donne l’avantage aux Démocrates que grâce à la voix de la vice-présidente Kamala Harris, présidente es qualités du Sénat. Sauf accord avec certains Républicains, la défection du moindre sénateur démocrate se traduit donc par un blocage des lois au Congrès.

Crise sanitaire : priorité au nouveau plan de sauvetage

Dès son investiture en janvier 2021, Joe Biden a été confronté à la nécessité de mettre en œuvre un nouveau plan d’aide pour soutenir le pouvoir d’achat des Américains, mis en difficulté par la crise du Covid-19.

Dans la lignée des deux plans de relance adoptés sous l’ère Trump d’un montant respectif de 2 200 (« CARES Act ») et de 900 milliards de dollars (« Consolitated Appropriations Act »), l’« American Rescue Plan Act » (ARPA) voté le 10 mars 2021 prévoit 1 900 milliards de dollars de dépenses supplémentaires.

Covid-19 : le Sénat américain approuve le plan de relance économique de Joe Biden (France 24, 7 mars 2021).

Ces fonds sont tout d’abord destinés à la distribution directe de nouveaux chèques à une grande partie des ménages américains, à raison de 1 400 dollars pour toute personne gagnant moins de 75 000 dollars par an (2 800 dollars en dessous de 150 000 dollars de revenus pour un couple).

Ce nouveau plan permet aussi de poursuivre le versement aux chômeurs d’un montant hebdomadaire de 300 dollars en complément de leurs éventuelles allocations.

Le reste de l’ARPA est notamment affecté au paiement des vaccins et des tests de dépistage, ainsi qu’à des subventions aux petites entreprises en difficulté pour éviter que celles-ci ne licencient leurs salariés.

Enfin, une enveloppe de 350 milliards de dollars est consacrée aux États et aux territoires, afin de combler certaines inégalités en matière de couverture numérique ou pour leur permettre d’assister les ménages fragilisés, par exemple en les aidant à conserver leur logement.

Après l’adoption de ce plan dicté par les besoins de la conjoncture sanitaire, l’administration Biden a inscrit à son agenda le train des réformes économiques structurelles promises lors de la campagne présidentielle.

Promesses de campagne : plans d’investissement dans les infrastructures et soutien aux familles

Les deux priorités intérieures définies par Joe Biden lors de sa campagne se traduisent par la volonté de faire adopter au Congrès deux gigantesques plans d’investissement, l’un concernant une modernisation historique des infrastructures du pays, l’autre étant destiné au soutien aux familles.

Consensuel entre les Démocrates et une partie des Républicains, le projet de loi sur le plan d’infrastructures, le « Bipartisan Infrastructure Bill », aura néanmoins attendu le 10 août 2021 pour être approuvé par le Sénat, après des mois de négociations.

D’un montant de 1 200 milliards de dollars de dépenses sur huit ans (contre 2 250 milliards envisagés initialement), le plan a obtenu l’aval définitif du Congrès le 5 novembre 2021. Un vote d’une portée symbolique forte, un an après l’élection de Joe Biden.

Ce plan d’amélioration des infrastructures devrait permettre la rénovation d’ouvrages existants (routes, ponts, voies ferrées, distribution d’eau, transports publics…) et la mise en place de nouveaux équipements, notamment destinés à réduire les émissions de gaz à effet de serre, soutenir l’adaptation au changement climatique, participer à la dépollution des sols et étendre l’Internet à haut débit.

États-Unis : des infrastructures en souffrance, Reportage C dans l’air, 18 décembre 2020.

À l’issue de la négociation bipartisane, seuls 550 des 1 200 milliards de dollars devaient constituer de nouvelles dépenses, le restant correspondant aux dépenses non réalisées dans le cadre des plans d’urgence sanitaire. Ainsi, seule une taxe sur les cryptomonnaies devrait être introduite pour assurer son financement.

De son côté, l’American Families Plan doit principalement mettre l’accent sur le soutien aux familles avec enfants dans le but d’améliorer la situation des nouvelles générations.

Cela passe notamment par l’augmentation des financements dévolus au système public d’éducation et à la formation des enseignants, et par des aides aux familles modestes avec enfants (subventions des frais de garde, mise en place de congés maternité).

L’absence de consensus parmi les élus démocrates freine depuis plusieurs mois l’adoption de ce plan, mais leurs négociations internes pourraient bientôt aboutir à l’adoption d’un texte à l’ambition réduite, bien loin des 3 500 milliards de dollars prévus initialement.

Face-à-face tendu avec la Chine

L’administration Biden a d’emblée désigné la Chine comme le principal concurrent, voire adversaire des États-Unis. Dépassant le débat sur le déficit commercial américain vis-à-vis de ce pays mis en avant par son prédécesseur à la Maison-Blanche, le nouveau président se place dans une confrontation en termes de leadership mondial sur tous les aspects : économique, diplomatique, militaire et technologique.

Début juin, le Sénat adoptait à une large majorité un projet de loi pour répondre au défi technologique, l’« United States Innovation and Competition Act ». D’un montant global de 250 milliards de dollars, le plan promeut la recherche dans des secteurs stratégiques pour l’industrie du futur, tels que les semi-conducteurs, les puces électroniques, l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique dans l’objectif de faire face à une concurrence internationale accrue, et en particulier celle de la Chine.

Sans abandonner les barrières douanières mises en place par Donald Trump, Joe Biden s’en démarque sur le plan diplomatique. Au lieu de poursuivre une lutte unilatérale contre la Chine, il cherche à renforcer ses alliances pour opposer à son principal concurrent un front le plus large possible.

C’est ainsi qu’en juin 2021, les membres du G7 se sont entendus pour concourir au programme « Build Back Better World » (B3W) qui vise à contrer l’influence grandissante de la Chine, laquelle investit massivement dans les infrastructures des pays en développement à travers les « nouvelles routes de la soie ».

Dans la zone Asie-Pacifique, Biden a resserré ses relations avec ses partenaires du Quad (Inde, Japon, Australie).


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La forte priorité donnée aux alliances dans cette zone est à l’origine du couac diplomatique récent entre les États-Unis et la France concernant le contrat des sous-marins australiens.

Quand le président américain annonce lui-même la signature d’un nouveau contrat, évinçant de fait celui conclu quelques années plus tôt par Naval Group France, c’est pour marquer des points vis-à-vis de la Chine, au risque de vexer un allié européen beaucoup moins central dans ses préoccupations.


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Imposition des multinationales : les États-Unis à la manœuvre

C’est au travers de larges négociations internationales que l’administration Biden a réussi à convaincre ses partenaires de l’OCDE d’appliquer une taxation minimale sur les bénéfices des multinationales. Il s’agit d’un accord historique malgré un taux minimal de 15 % bien en deçà des 21 % initialement souhaités par Joe Biden.

Cela permettra de lutter contre l’optimisation fiscale des grands groupes, tout particulièrement des Gafa (Google, Amazon, Facebook et Apple). Ces derniers parviennent à échapper largement à l’impôt grâce au dumping fiscal de certains pays qui tirent vers le bas les taux d’imposition sur les sociétés. Or, les États-Unis ont un besoin crucial de recettes fiscales pour financer les plans d’investissement voulus par les Démocrates.

Impôt minimum mondial : vers une révolution fiscale ? France 24, 4 juin 2021.

C’est aussi une manière de ne pas laisser d’autres pays prendre des initiatives en matière d’imposition des multinationales américaines. Le Royaume-Uni ou la Turquie, pour avoir mis en place une fiscalité spécifique sur les grandes multinationales du numérique, sont d’ailleurs menacés par les Américains de mesures de rétorsion sous forme d’augmentation d’un ensemble de droits de douane.

L’administration Biden entend garder l’initiative sur l’évolution de la fiscalité internationale et éviter que d’autres pays suivent l’exemple français en taxant ces groupes sur la base du chiffre d’affaires réalisé sur leur territoire.


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Depuis le début de son mandat, Joe Biden a entrepris une réforme en profondeur de l’économie américaine tout en réinvestissant la scène internationale avec une vision du monde plus multilatérale que celle de son prédécesseur. La préservation du leadership des États-Unis reste néanmoins son objectif primordial au côté des enjeux de politique intérieure que sont la réduction des inégalités qui minent la société américaine, et la transition énergétique.The Conversation

Isabelle Lebon, Professeur des Universités, directrice adjointe du Centre de recherche en économie et management, Université de Caen Normandie et Thérèse Rebière, Maître de conférences en économie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


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