Catherine Delgoulet

Formation des séniors : "Un travail qui ne permet plus d'apprendre perd son sens"

1 décembre 2020

Catherine Delgoulet, professeure du Cnam, titulaire de la chaire d’ergonomie, responsable nationale du master d'ergonomie et directrice du GIS-CREAPT (Centre de recherche sur l'expérience, l’âge et les populations au travail) explique pourquoi les entreprises doivent absolument continuer à former leurs salariés seniors.

Les salariés seniors ont-ils accès à la formation continue ?

À partir des résultats d'enquêtes nationales, on observe que plus on avance en âge, moins l'on accède à la formation. C'est une tendance très ancienne, qui perdure, même si cela se produit un peu plus tardivement depuis les années 2000, certainement en lien avec le recul de l'âge de la retraite.

De fait, le pic d'accès à la formation se situe autour de 25-35 ans. 55 % de cette tranche d'âge bénéficient de formations régulières, mais seulement 45 % des plus de 50 ans et 35 % des plus de 60 ans, alors qu'il leur reste, pour certains, encore cinq ou sept ans d'activité, ce qui n'est pas négligeable.

L'âge est-il seul en cause ?

L'appartenance à certaines catégories socio-professionnelles (CSP) – en l'occurrence les ouvriers et les employés – accentue cet effet d'âge. Un cadre de 60 ans a plus de probabilité d'accéder à la formation qu'un ouvrier en début de carrière, et les actions de formation diffèrent aussi selon la CSP. Les employeurs privilégient les formations en situation de travail, et donc de production, pour les ouvriers ou les employés et des formations plus individuelles de type coaching pour les cadres. Cependant, on constate aussi que, dans les contextes de changement (technologique ou autre), jeunes et seniors sont formés de manière assez similaire.

Quel est l'avis des employeurs et des seniors eux-mêmes sur cette problématique ?

D’enquête en enquête, il s’avère que les employeurs doutent souvent de la capacité des salariés plus âgés à appendre et à faire face au changement. Un résultat établi dès les années 1960, que l'on retrouve encore aujourd'hui... alors que les changements s'accélèrent ! Mais chez les salariés, la formulation des besoins de formation diminue aussi avec la séniorité. Ce que l'on peut interpréter de différentes façons qui, probablement, se combinent : ils doutent eux-mêmes de leur capacité à apprendre ; ils ont moins d'idées sur ce que la formation pourrait leur apporter (parce qu'ils y ont moins accès) ; ils ont déjà acquis des savoirs et des savoir-faire transférables d'une situation à l'autre ; leurs précédentes expériences de formation ont laissé à désirer. Ils peuvent enfin s'autocensurer en anticipant un refus de l’employeur.

En quoi la formation est-elle importante pour les seniors ?

On sait qu'un travail qui ne permet plus d'apprendre perd son sens et peut, dans la routine, devenir délétère pour la santé. Priver les plus anciens de formation, ce n'est donc pas les aider à se sentir en santé au travail. En revanche, un travail stimulant permet de préserver l’efficience des capacités cognitives avec l'avancée en âge, voire de continuer à les développer.

Toutefois, l'intensification du travail réduit fortement les possibilités de prendre du recul sur la façon dont on le réalise, alors que cette phase réflexive est importante pour l'activité productive. Dans ce contexte, la formation offre un espace permettant de réfléchir à son expérience passée et à la façon dont on va faire son travail à l'avenir.

En outre, pour un métier donné, le contenu même du travail est soumis à des changements de plus en plus fréquents et drastiques au cours d'une carrière. Ne pas former les salariés en conséquence, c'est les mettre en situation de handicap.

Contributrice du CEET : Catherine Delgoulet

Source : Focus RH
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