Plus l’organisation du travail est contrainte, plus le présentéisme lié à la maladie est fréquent (étude Cnam Ceet)
26 mai 2021
Le fait d’aller travailler tout en étant malade - autrement dit le présentéisme lié à la maladie - est-il la conséquence d’une certaine organisation du travail ? C’est à cette question que répondent Sylvie Hamon-Cholet et Joseph Lanfranchi (1) dans Connaissance de l’emploi, la lettre mensuelle du Centre d’études de l’emploi et du travail (mai 2021). Ce sont d’abord les caractéristiques de l’organisation du travail qui sont à l’origine d’un phénomène qui concerne plus de deux salariés sur cinq en 2016. Phénomène contre lequel il convient de lutter au nom de la préservation de la santé publique.
Le phénomène est "loin d’être anecdotique", selon les deux chercheurs. En effet, plus de deux salariés sur cinq déclarent un épisode de présentéisme au cours de l’année écoulée, selon des enquêtes françaises Conditions de travail à l’instar d’enquêtes européennes. En outre, le nombre moyen de jours de présentéisme passe de 2,5 à 3,1 jours entre 2013 et 2016. Pour les trois quarts des salariés, le cumul annuel de jours de présentéisme ne dépasse pas cinq jours, "sans grande évolution entre les deux années", notent les chercheurs.
Quels sont les risques d’un présentéisme lié à la maladie ? Plusieurs études médicales de 2007 et 2008 mettent en évidence des pertes élevées en termes de rendement individuel : "On est moins productif quand on est malade, du fait de la fatigue voire de la douleur induite, surtout si les contraintes de travail sont fortes".
Moindre productivité du groupe
Une répercussion est également possible sur la productivité du groupe. Sans omettre, bien évidemment en période épidémique, le risque de contagion entre salariés. Une étude de Skagen et Collins de 2016 montre que ce comportement "peut avoir des conséquences négatives sur le bien-être et la santé des travailleurs, à plus ou moins long terme, entraînant des coûts supérieurs à ceux de l’absentéisme".
Certaines caractéristiques individuelles sont corrélées au présentéisme. Ainsi, "être une femme augmente la propension à déclarer des épisodes de présentéisme, avec un nombre moyen de jours plus élevé également". La présence d’enfants, comme le fait d’être en couple, ne sont en revanche pas des déterminants de ce type de présentéisme, "ce qui tendrait à montrer que la situation familiale n’est pas significativement liée à ce phénomène".
Peur de perdre son emploi
De le même manière, on est plus enclin à aller au travail en étant malade lorsqu’on est en CDI (46 % de fréquence contre 30 % pour une ancienneté de moins d’un an) et que l’on a peur de perdre son emploi (52 %). Un tel résultat "pourrait trouver son explication dans un possible désengagement des salariés précaires lorsqu’ils estiment que la relation d’emploi a peu de chances d’être pérennisée".
Ce sont les agents de la Fonction publique, et singulièrement les agents de la Fonction publique hospitalière, qui sont les plus enclins au présentéisme en cas de maladie. Un peu plus de la moitié se sont déclarés en 2016 dans cette situation avec un nombre de jours moyen également supérieur à la moyenne. Toutefois, il semblerait que le statut ne soit pas un élément déterminant, hormis le fait d’appartenir à la Fonction publique d’État.
Désorganisation du travail : cause du présentéisme ?
Pour les auteurs, l’organisation du travail - ou plutôt une certaine forme de "désorganisation" - pèse significativement sur le fait de venir travailler tout en étant malade. "Ceci est vrai, autant en termes de fréquence que de nombre de jours déclarés et par ailleurs, consolidé par les analyses économétriques".
L’organisation du temps de travail au quotidien ou sur la semaine est un facteur qui pèserait sur le présentéisme. Des semaines longues comme des horaires "atypiques" - à savoir un travail le soir, de nuit, le samedi ou le dimanche - "tendent à le faire augmenter, particulièrement en termes de fréquence des épisodes". "Lorsque l’organisation du temps de travail impose des horaires longs ou décalés, les salariés ne peuvent s’absenter sans désorganiser le rythme de production ou transférer la charge de travail sur leurs collègues", d’où une pression pour aller travailler même malade.
Ce phénomène a pu être identifié chez les soignants en milieu hospitalier durant les tensions sur les services de réanimation lors de la première vague de l’épidémie de Covid19 au printemps 2020, observe-t-on. Les auteurs soulignent que, "dans un contexte où la production est organisée au plus juste, l’absence est difficile, mais la présence d’un collectif aidant la rend possible". Ce constat pourrait être des éléments d’explication au fait que les agentes de la Fonction publique, notamment hospitalière, sont plus enclines à venir au travail tout en étant malades.
Contributeur.trice.s du CEET : Sylvie Hamon-Cholet et Joseph Lanfranchi