Christine Erhel

Revaloriser les métiers de la continuité économique et sociale : au-delà de la crise sanitaire

6 mai 2022

En confiant fin 2020 à Christine Erhel (Cnam/CEET) et Sophie Moreau-Follenfant (RTE) la mission d’accompagner les partenaires sociaux dans la reconnaissance des métiers de la «?deuxième ligne?», Elisabeth Borne leur demandait d’en cerner les contours et les conditions d’emploi. Ce qui fut fait dans un premier rapport dont Christine Erhel a rendu compte voici un an pour Metis.

Leur mission ne s’arrêtait pas là : elles devaient ensuite proposer aux branches concernées des « leviers de reconnaissance » pouvant aboutir rapidement à des solutions concrètes. Metis revient avec Christine Erhel sur ce second volet.

Metis : Vous avez fait l’année dernière un inventaire précis des « travailleurs de la deuxième ligne » assorti d’un portrait statistique riche et différencié. Comment vous y êtes-vous pris cette fois pour identifier branche par branche les leviers de leur reconnaissance ?

Pour mémoire, nous avions en 2020, en accord avec les partenaires sociaux, combiné deux critères pour identifier les travailleurs de la « deuxième ligne » : être exposé à un risque infectieux dans l’exercice de son métier et ne pas avoir télétravaillé durant le premier confinement. Nous sommes parvenues sur cette base à un total de 4,6 millions de salariés dans le secteur privé (sur près de 18 millions) et 700 000 dans le public. Mais pour accompagner la négociation sur la reconnaissance de leurs métiers, il nous a fallu ensuite repérer les branches professionnelles où ils sont particulièrement représentés ; nous avons pour ce faire retenu celles où ils comptent pour au moins la moitié des effectifs, tout en dépassant le seuil minimal de 30 000 personnes. Soit 15 branches conventionnelles (voir tableau en annexe) regroupant plus de 3 millions de « deuxièmes lignes », avec par ordre décroissant le bâtiment, les transports routiers, le commerce alimentaire, la propreté, l’aide à domicile, la sécurité…

Second choix de méthode, pour passer du dénombrement à l’analyse des conditions de travail et d’emploi des salariés concernés, nous avons opté pour une analyse multidimensionnelle centrée sur la qualité de l’emploi et du travail. En nous inspirant des travaux du BIT (« emploi décent »), de l’Union européenne (indicateurs de Laeken) et de l’OCDE (Better Life Index), nous avons donc construit une batterie de 17 indicateurs mesurant les 6 dimensions de la qualité des emplois : salaires et rémunérations, conditions d’emploi, conditions de travail, horaires et conciliation vie familiale-vie professionnelle, formation et trajectoires professionnelles, dialogue social (voir tableau en annexe). C’est cette même grille que nous avons reprise pour guider la série d’échanges menés (à distance, Covid oblige) avec les organisations patronales et syndicales de branche sur les perspectives de revalorisation et de reconnaissance des « métiers de la continuité économique et sociale ».

J’emploie à dessein cette autre dénomination en lieu et place de « deuxième ligne », car même si ces termes figurent toujours dans le titre de nos deux rapports, nos entretiens avec les acteurs sociaux nous ont montré leurs limites. Parler de « continuité économique et sociale » présente le double avantage d’élargir la focale en dépassant le seul contexte de la crise sanitaire et d’éviter d’établir, comme le craignaient certains acteurs syndicaux, une hiérarchie implicite entre métiers de première et de deuxième ligne.

Voilà pour la méthode. En pratique, le dialogue avec les acteurs sociaux des branches a-t-il été fructueux ?

La première demande de la ministre du Travail était de faire remonter toutes les actions concrètes, envisagées ou déjà engagées par les branches, pour reconnaître les métiers de la continuité. Il nous a fallu à cet égard composer avec deux difficultés :

  • les retours ont été très variables, toutes les branches ne se prêtant pas également au jeu ; en pratique, près de la moitié d’entre elles n’ont pas répondu, et celles qui l’ont fait ont fourni des réponses hétérogènes, en quantité comme en qualité.
  • parmi les différentes mesures de reconnaissance qui nous sont remontées, il n’a pas été facile de faire le tri entre celles qui visaient spécifiquement les « deuxièmes lignes » et celles qui répondaient aux effets de la crise sanitaire sur les conditions de travail et d’emploi de l’ensemble des salariés.

S’y ajoute un double constat :

  • ce que nous avons observé dans les branches, ce sont surtout des dynamiques de négociations déjà en cours, plutôt que des mouvements enclenchés à la suite de l’appel à négocier lancé par le ministère.
  • de façon transversale, c’est avant tout la question de l’attractivité des métiers de la continuité qui pousse les organisations patronales à s’intéresser à la qualité des emplois. Qu’il s’agisse du bâtiment, des transports routiers, de l’aide à domicile, les difficultés de recrutement rencontrées sont le premier moteur des négociations en cours, loin devant les enjeux de reconnaissance propres à la « deuxième ligne ». À preuve les dynamiques de négociation en cours dans les hôtels-cafés-restaurants, une branche qui ne relève pas a priori du champ de la continuité économique et sociale.

Reconnaissance ou attractivité, sur quels thèmes les négociations ont-elles porté ?

Commençons par les rémunérations. Souvent, les augmentations accordées en sortie de confinement sont restées faibles, si bien que les niveaux de salaires conventionnels ont été rapidement rattrapés par le SMIC, dont la hausse s’est accélérée avec l’inflation. Certaines branches ont cependant engagé à compter de 2021 des démarches de revalorisation pluriannuelles, comme la sécurité (+ 10 % en 3 ans) ou la propreté.

En matière de conditions de travail, certaines négociations se sont élargies à des enjeux spécifiques mis en lumière par les confinements, comme par exemple l’accès des conducteurs routiers aux services nécessaires au cours de leurs déplacements (restauration, d’hébergement, hygiène…).

Mais c’est surtout la question du temps de travail et de son organisation qui a donné lieu à réflexions. Dans la propreté, les négociations ont cherché à progresser sur la voie de la journée continue (réduire les coupures journalières) et du travail en journée (limiter les horaires décalés). Des progrès qui appellent cependant à des réorganisations concomitantes de la part des entreprises clientes, et ne sont pas forcément bien reçus par les salariés concernés lorsqu’ils remettent en question leurs propres arrangements temporels. Dans la sécurité, les négociations ont porté sur la durée quotidienne minimale des missions, avec côté syndical l’objectif d’un minimum de 4 heures par jour. Dans les services à la personne, c’est la revalorisation du travail de nuit ou du week-end et l’aide à la mobilité entre clients qui sont à l’ordre du jour.

Au total, force est de constater qu’il n’y a rien de spectaculaire dans le mouvement de négociation que nous avons observé, ni en volume, ni sur le fond.

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