Rapport de recherche #110

"Soyez raisonnables". De l'aménagement des situations et des conditions du travail, aux stratégies professionnelles de salariés sourds

31 mai 2022

Sylvain Kerbouc'h (coord.), Sophie Dalle-Nazebi, Serge Volkoff (resp. sc.), Christine Le Clainche, Mathieu Narcy, Anne-Françoise Molinié, Nahia Jourdy

La problématique de l’emploi des sourds se joue dans l’organisation des modalités de communication ordinaire au travail : c’est ce que montre cette recherche qui se place du point de vue des pratiques et des expériences vécues par les acteurs.

La recherche a pour objectif de comprendre les effets, sur le travail et les conditions de travail de professionnels sourds, « d’aménagements » spécifiques et de changements plus globaux de l’environnement professionnel. Les résultats éclairent l’enjeu de sécurisation des capacités et des parcours professionnels des sourds. Ils se déclinent autour de trois axes thématiques :

  1. La population étudiée statistiquement (enquêtes de l’INSEE HID1999 et HSM2008[1]) est composée de personnes dont la majorité est devenue sourde ou malentendante au cours de leur parcours professionnel. Selon l’enquête HSM, leur position vis-à-vis de l’emploi est marquée par une certaine dichotomie : peu diplômés, plus âgés par rapport aux autres salariés, ils travaillent pour la majorité d’entre eux (60 %), mais, quand ils ne travaillent pas, sont plutôt en inactivité (31 %) qu’au chômage (6-7 %).
  2. Cette recherche montre que l’application de la loi du 11 février 2005 est peu effective au regard des besoins des professionnels sourds. L’enquête qualitative (deux groupes d’intervention sociologique et une centaine d’entretiens auprès de sourds locuteurs de LSF, de RH et DRH, médecins du travail, mission handicap, collègues et managers...) met en évidence que la diversité d’application de cette loi s’explique par des degrés d’imbrication variables de cette politique dans l’organisation de l’entreprise : très souvent la couverture des besoins d’aménagement du poste ou du travail dépend de la position et de la personnalité des personnels ressources dédiées. Elle nécessite de la part des salariés eux-mêmes une négociation, continue et répétée, de leurs moyens de travail. Ces aménagements sont aussi le résultat d’arrangements pris dans les collectifs de travail et qui échappent à des logiques organisationnelles.
  3. L’analyse des conditions de travail et des environnements professionnels met aussi en évidence qu’en dépit de l’expression d’une satisfaction globale quant à leur situation professionnelle, les sourds pointent des situations discriminatoires du fait de facteurs organisationnels qui les maintiennent en position d’exécutants. Ils sont notamment très souvent écartés des espaces d’information, de coordination et de décision. Ces salariés développent alors des stratégies professionnelles pour se protéger des effets du travail sur leur santé, assurer leur qualité de vie ou améliorer leurs conditions de travail. C’est en liant ajustements locaux et collectifs de travail qu’ils modifient leur rapport au travail.

La recherche dégage deux orientations d’action pour rendre plus efficients les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination :

  1. Les conditions de travail communes à tous salariés : garantir l’accès aux informations sur la vie de l’entreprise ainsi que sur leur activité et sur celle des équipes est gage d’efficacité et de participation pour les salariés sourds. Cette dimension informationnelle fait partie des moyens de travail, et des préalables à la reconnaissance de la place des salariés au sein de l’entreprise. Ce principe d’action remet aussi en cause la croyance que les expériences et les parcours professionnels des personnes sourdes et malentendantes dépendent du seul degré de surdité ou de leurs pratiques de communication. Les expériences et parcours de ces personnes sont multiples et diversifiés et davantage fonction de leurs compétences professionnelles et des contextes professionnels permettant ou non de les déployer.
  2. La transformation des organisations de travail : diminuer les discriminations et les limites imposées aux professionnels sourds passe par la prise en compte des enjeux communicationnels de toute activité et de l’importance du langage pour et dans le travail. Cela suppose une gestion de la diversité des pratiques de communications au travail.
 

[1] Handicaps-Incapacités-Dépendance, volet ménages, 1999 et Handicap Santé, volet Ménages, 2008

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