Ça se confirme, les «premiers de corvée» sont sous-payés et surexploités
12 mars 2021
Nous y voilà : un an s’est écoulé depuis l’entrée brutale de la France dans la crise sanitaire et économique du Covid-19. Cela fait donc un an, aussi, qu’une forme d’épiphanie collective s’est emparée du pays au sujet de ceux et celles que l’on appelle communément «travailleurs de la deuxième ligne», ou «premiers de corvée». Soit, au-delà des soignants et des enseignants (les «premières lignes»), la multitude de personnes qui exécutent dans l’ombre des tâches essentielles à la bonne santé sociale et sanitaire du pays, et qui continuent à travailler «quoi qu’il en coûte» depuis le premier confinement : aides à domicile, ouvriers agricoles, éboueurs, manutentionnaires, ouvriers du bâtiment, caissières, agents d’entretien…
On sait depuis toujours que ces gens indispensables sont sous-payés, sous-formés, surexploités, subissant tout à la fois du temps partiel contraint et des journées à rallonge : trois heures de boulot à l’aube, trois autres au crépuscule. On le sait, mais on n’y a jamais remédié. Le gouvernement, lui, a opté pour ce qu’il sait faire de mieux : lancer une «mission». Celle sur les «travailleurs de la deuxième ligne» a été mise sur pied par la ministre du Travail, Elisabeth Borne, en novembre, afin d’«objectiver» la population de ces travailleurs. Cette tâche a été confiée à Christine Erhel, professeure au Cnam, et Sophie Moreau-Follenfant, DRH de RTE. Et ce, afin que des négociations s’ouvrent ensuite dans les branches concernées pour aboutir à des revalorisations. En janvier, le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, a pointé du doigt le temps perdu : «Ça a trop duré, maintenant on ne peut pas attendre indéfiniment. On veut des solutions concrètes», a-t-il tonné.
Déconsidérés quoi qu’on en dise
Ce vendredi, les solutions concrètes ne sont toujours pas là, mais quelque chose s’est tout de même passé : la mission a rendu ses conclusions, qui ont été présentées ce matin aux organisations syndicales et patronales par le ministère du Travail. Elles consistent en une synthèse minutieuse, résultat du traitement d’une multitude de données récoltées par la Dares (le service de recherche rattaché au ministère du Travail), au terme duquel 17 métiers ont été identifiés comme répondant aux critères définis pour identifier ces «premiers de corvée» (un contact accru avec le public et les collègues et une présence au poste de travail pendant le premier confinement). Le diagnostic qui en résulte est accablant : en France, au moins 4,6 millions de travailleurs, soit près d’un salarié du secteur privé sur quatre, sont déconsidérés aussi bien matériellement que symboliquement.
Les salaires en sont la preuve la plus éclatante : en moyenne, les «secondes lignes» touchent 11 950 euros net à l’année. C’est moins qu’un smic à temps plein (14 772 euros) et c’est presque deux fois moins que la moyenne nationale dans le privé, qui n’est pas non plus mirobolante : 19 113 euros net annuels. Certains n’atteignent même pas les 10 000 euros par an en moyenne : c’est le cas des maraîchers, des ouvriers non qualifiés du gros œuvre et de la manutention, des agents d’entretien et, en bas de classement, des aides à domicile qui doivent se contenter de 8 188 euros, ce qui représente à peine 700 euros par mois. Dans le cadre de la mission, certains de ces salariés ont été sondés. Chez les aides à domicile, le taux d’«insatisfaction salariale» atteint 54%.
Outre le fait que le smic est la norme, la faiblesse de ces rémunérations s’explique par la précarité dans laquelle sont maintenues nombre de ces personnes : pour les cas les plus extrêmes, 35,7% des manutentionnaires non-qualifiés sont en intérim (contre 3,1% en moyenne nationale dans le privé) ; 22,6% des maraîchers sont en CDD (7,5% en moyenne nationale). Le temps partiel occupe également une part très importante dans la vie de certains, et notamment les aides à domicile qui sont 77% à ne pas connaître le temps plein. Elles sont aussi 35% à travailler le dimanche, et 19% à avoir des journées morcelées, ce qui crée des «difficultés de conciliation» chez 24% d’entre elles.
Contributeur.trice.s du CEET : Christine Erhel