Ce dimanche, Claire ouvre l’œil vers 7 heures. C’est son troisième jour de règles. Elle a mal, terriblement mal, son ventre gonflé entrave ses mouvements. Malgré la douleur, elle se lève, s’habille et se dirige vers la gare pour se rendre au travail. La jeune femme s’occupe de l’accueil dans un hôtel de luxe parisien, et elle est seule en poste le dimanche. Pas le choix, elle y va.
Dans le RER, la douleur s’accentue, lui tord le bas-ventre. Claire a des sueurs froides, des vertiges, puis s’évanouit entre deux stations. Des passagers la déposent sur le quai. Quand Claire rouvre l’œil, des agents de la RATP la regardent avec inquiétude : du sang a coulé entre ses jambes. « Vous êtes enceinte, Madame ? - Non, j’ai mes règles. » Les agents soupirent, soulagés. La quantité de sang qui coule les pousse malgré tout à appeler les pompiers.
Emmenée à l’hôpital, Claire appelle son travail pour s’excuser pour l’absence. Sa gorge est nouée. Elle ne se voit pas dire : « Désolée, j’ai mes règles », alors elle évoque un malaise. Son patron lui répond : « Ok, bon, tu reviens quand ? »
Claire marche toujours difficilement, elle est anémiée par ses règles hémorragiques. L’hôpital lui propose un arrêt de travail, elle refuse. Elle a un enfant, son compagnon n’a qu’un petit salaire et elle veut de toute façon s’en séparer. Elle ne peut pas se permettre de perdre le salaire d’une journée, et encore moins se faire licencier. Alors à 14 heures, elle entre dans l’hôtel et prend son poste pour le reste de la journée.
Ces crises sont fréquentes, presque banales pour Claire. De celle-là, elle retiendra surtout la honte du sang qui coule à la vue de tous.
Quelques absences plus tard, son employeur lui propose un rendez-vous pour trouver un poste plus adapté à sa santé. Quand elle arrive, on lui met sous les yeux une proposition de rupture conventionnelle. Claire a 24 ans, n’y connaît rien, elle pense qu’elle n’a pas le choix. Elle signe et se retrouve au chômage, privée des indemnités supra-légales auxquelles elle aurait pu prétendre.
Des douleurs intenables
La jeune femme souffre d’endométriose. Cette maladie gynécologique, inflammatoire et chronique, touche environ une femme sur dix, soit 2,5 millions de personnes en France. Elle se caractérise par une présence anormale de tissu utérin hors des cavités utérines. Différents organes peuvent être touchés : les ovaires, le vagin, le rectum ou encore la vessie.
Ce tissu utérin se comporte comme l’endomètre de l’utérus au cours du cycle menstruel. Il se gonfle de sang, puis saigne pendant les règles. Les symptômes sont d’intensité variable selon les femmes : règles abondantes et longues (jusqu’à dix jours), douleurs intenses, troubles digestifs et urinaires, fatigue chronique.
Ces troubles sont lourds de conséquences pour le travail et la carrière des femmes. Selon l’enquête EndoVie menée par Ipsos pour l’association EndoFrance en 2019, 65 % des femmes actives atteintes d’endométriose déclarent que la maladie a un impact négatif important sur leur bien-être au travail.
Pour en comprendre les raisons, la sociologue Alice Romerio a mené récemment une étude quantitative sur 1986 malades. En premier lieu, c’est la douleur qui pénalise ces femmes au travail, qu’elle soit localisée dans le bas-ventre, les lombaires ou les jambes. Ces douleurs sont particulièrement aiguës pendant les règles, mais peuvent survenir n’importe quand. Elles entraînent une baisse de la concentration et pénalisent les femmes dans les emplois physiques (hôtesse d’accueil, comme Claire, ou encore femme de ménage, ouvrière…) Les femmes en souffrance se bourrent d’antidouleurs pour tenir. Sarah, jeune ouvrière, craint de ne pas faire long feu dans son usine : « J’ai mal, tellement mal ! Mais j’ai trop peur d’être virée si je m’absente. »