Le Club de Mediapart

« L’argent du football » - 3 questions à Luc Arrondel et Richard Duhautois

25 juin 2019

L. Arrondel, économiste, est directeur de recherche au CNRS et chercheur à l’école d’économie de Paris. R. Duhautois, économiste, est chercheur au CNAM, membre du Laboratoire interdisciplinaire de recherches en sciences de l’action et du Centre d’études de l’emploi et du travail. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « L’argent du football », aux éditions CEPREMAP.

Le « football business » est-il aussi business qu’on le dit ?

En 1905, le fondateur de la Football League, William McGregor, avait-il raison en déclarant déjà : « Football is a big business » ?

Contrairement à certains a priori, le football est aujourd’hui plutôt un petit business comparé aux autres secteurs d’activité : le chiffre d’affaires (CA) des cinq plus gros championnats européens (le « big five ») est légèrement inférieur à celui de la Française des jeux ; le budget de la Ligue 1 française deux fois plus petit que le CA de son sponsor officiel, le géant du meuble Conforama. Que représente le chiffre d’affaires du football dans le PIB aujourd’hui en France ? En comptant large, à peine 0,2 %...

Les recettes de la Fédération internationale de football association (FIFA) sur le quadriennat 2014-2018 s’élèvent à 5,6 milliards de $. Pour le commun des mortels, il s’agit de beaucoup d’argent, mais c’est en réalité peu pour une multinationale : la plus grande entreprise française cotée en bourse, l’assureur AXA, avait en 2016 un CA près de vingt fois supérieur et générait 6,5 milliards d’€ de résultat net. Lehman Brother, dont la chute est à l’origine de la crise de 2008, avait un chiffre d’affaires de près de 47 milliards de $ en 2007. La fortune de Mark Zuckerberg qui a voulu acheter Tottenham Hotspur à l’été 2017 est estimée par le magazine Forbes à 76,5 milliards de $…

En 2016-2017 Manchester United, club le plus riche du monde selon le cabinet Deloitte, générait un chiffre d’affaires de 676 millions €. Les deux clubs phares espagnols, sans doute les équipes les plus populaires qui soient, disposaient de 675 millions d’€ pour le Real Madrid et de 648 millions pour le FC Barcelone. Ces deux clubs, grands par leur palmarès et leur histoire ne pèsent donc pas bien lourd en CA comparativement aux grandes entreprises !

Et jusqu’à présent, les clubs de football des principales ligues sont sur un trend d’équilibre et ne font donc globalement aucun profit : ils privilégient plutôt les victoires à l’argent en investissant dans les joueurs (et donc le jeu) plutôt que de rechercher des bénéfices.

Se dirige-t-on - ou est-on déjà - dans une ligue fermée par la champion’s league ?

Des championnats nationaux en Europe largement dominés par quelques clubs, une Ligue des champions dont les tours finaux (à partir des quarts de finale) sont réservés à une petite élite européenne, des inégalités de revenus qui, de fait, se creusent entre les grands clubs et les autres, des droits télévisuels à répartir qui explosent, tous ces facteurs interrogent sur le devenir des compétitions, nationales et européennes.

En 2016, le président de l’Association européenne des clubs (ECA) et du Bayern de Munich, K. H. Rummenige, a remis un projet de Super Ligue sur la table pour presser l’Union of European Football Associations (UEFA) de revoir la distribution des droits de retransmission. La motivation du président de l’ECA est la suivante : si les télévisions du monde entier (et peut-être les GAFA) sont prêtes à mettre 3,6 milliards d’€ par an pour le championnat anglais et 7 à 8 milliards d’€ par an pour le championnat de football américain, combien seraient-elles prêtes à financer pour voir les vingt meilleures équipes européennes de football se confronter au moins deux fois par saison ?

Une des principales raisons de la création de cette super Ligue fermée (à l’image des sports nord-américains) est la volonté pour les grands clubs européens de faire des profits et de capter une partie de la rente que les footballeurs – certains en tout cas – se sont appropriés. Les fonds américains, dont la motivation principale est la recherche de profit, de plus en plus nombreux à investir dans le « soccer » européen, ne sont sans doute pas là par hasard.

En 2017, l’ECA est tombée d'accord avec l'UEFA pour entériner son projet de réforme des compétitions continentales, mettant fin à l’envie de création d'une Super Ligue. L’une des réformes prévues à partir de la saison 2018-2019 prévoit de réserver quatre places directement qualificatives pour les quatre meilleures nations évaluées selon l’indice UEFA, c’est-à-dire en général l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. Si pour l’instant les parties prenantes ont trouvé un accord, il est à parier que la question de la création d’une Super Ligue sera de nouveau posée.

Contributeur.trice.s du CEET : Richard Duhautois
Source : Le Club de Mediapart

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