Rapports de recherche - 2009

Vécu du travail et santé des enseignants en fin de carrière : une approche ergonomique

#56 - novembre 2009 - Dominique Cau-Bareille

La recherche présentée ici porte sur les fins de carrière chez les enseignants, les enjeux de travail et de santé que cette période comporte, et leurs liens avec les aspirations en matière de cessation d’activité. Elle a été réalisée en 2007-2008, mais sa genèse remonte à quelques années.

Lors de l’édition 2003 du séminaire annuel du Créapt, un responsable du Snes avait exposé les résultats d’enquêtes menées par ce syndicat sur les fins de vie active (Parienty, 2004). Il avait fait part de la relative surprise qu’éprouvaient les auteurs de ces enquêtes en constatant, chez beaucoup d’enseignants, le souhait vif de quitter dès que possible un métier qu’ils jugeaient désormais pénible ou décevant. Au cours de cette intervention, il avait proposé que des collaborations avec des chercheurs puissent s’élaborer sur ce sujet.

Divers contacts dans la période qui a suivi ont débouché sur la mise en place d’un projet de recherche, qui a bénéficié d’un co-financement par le Créapt et le Conseil d’orientation des retraites (COR). Le COR, dans le cadre d’une réflexion plus large sur l’emploi des seniors, s’intéressait en particulier aux désirs précoces de sortie professionnelle dans la Fonction publique, dont les enseignants constituent une large partie. Quant au Créapt, son investissement sur ce thème relevait de deux préoccupations :

Un souci d’étendre au secteur public des investigations en matière de vieillissement au travail, jusqu’ici menées principalement dans des entreprises privées. Dans ce contexte, quelques études du Créapt ont été réalisées ces dernières années dans le secteur hospitalier (Toupin, 2008 ; Gaudart et Thébault, 2008) ;

Le souhait de mener des recherches en ergonomie sur une problématique jusque là peu abordée par les ergonomes : les fins de carrière. Jusqu’alors, les investigations en ce domaine avaient surtout été réalisées en référence à des approches économiques ou statistiques (voir par exemple Jolivet, 2008 ; Molinié, 2005 ; Volkoff et Bardot, 2004). Il s’agissait cette fois de mettre en œuvre la démarche ergonomique de manière à cerner plus finement quels peuvent être les facteurs liés au travail participant aux décisions de départ, les difficultés liées à l’exercice du travail, les arbitrages, les choix autour des fins de carrière. 


La recherche que nous avons menée a fait l’objet de présentations régulières dans un comité de pilotage réuni par le COR, avec la participation de plusieurs membres de son secrétariat général, ainsi que de représentants des ministères de l’Éducation nationale et de la Fonction publique et de la FSU. Faisaient également partie de ce comité le directeur du Gis-Créapt, Serge Volkoff, et le professeur Jacques Curie, professeur émérite de psychologie sociale à l’Université Toulouse Le Mirail et auteur notamment d’une théorie des « systèmes d’activités » (Curie, 2000, 2002), une notion à laquelle nous avons largement fait appel dans notre démarche de recherche.

Nous avons donc abordé cette étude, non pas en tant que chercheuse spécialisée dans l’étude du milieu enseignant, mais comme ergonome spécialiste des questions de vieillissement au travail. Dans nos propres recherches nous avions jusqu’ici abordé ces questions en référence à l’évolution des stratégies de travail en lien avec l’âge, à la formation professionnelle en particulier en lien avec les nouvelles technologies, à la transmission des connaissances dans le domaine des risques professionnels entre générations... (voir par exemple Paumès [Cau-Bareille] et Marquié, 1995).

En nous intéressant à la question des âges et modalités de départ, nous voulions apporter, dans le débat actuel sur l’allongement des fins de carrière, des éléments qui permettraient de tenir compte de la spécificité des métiers, de leurs formes de pénibilités, des enjeux qui les sous-tendent.

Nous voulions aussi intégrer dans cette réflexion des éléments souvent absents des études ergonomiques : l’articulation entre les différentes sphères de vie.

Le secteur de l’enseignement n’est pas un milieu professionnel quelconque. La notion de service public est au cœur des différents métiers qui le composent et constitue une préoccupation pour ses salariés.

L’Éducation en est un emblème fort en tant qu’institution de la République. Mais, du fait de son rattachement direct aux ministères, elle est extrêmement sensible aux choix du gouvernement et à ses orientations. Et aujourd’hui, les grands bouleversements qui touchent l’Éducation nationale ne sont pas sans incidence sur le rapport aux fins de carrière et aux choix en matière de retraite. Elle est porteuse de valeurs de la société ; et c’est aussi autour du système d’éducation que peut se cristalliser le malaise social, que s’expriment les inquiétudes pour l’avenir des enfants. Ces tensions seront discutées dans cette étude.

Notre intervention se situant délibérément dans le champ de l’ergonomie, il convient de caractériser très rapidement notre démarche générale. Si l’on reprend la définition adoptée par l’Association internationale d’ergonomie (IEA), « l’ergonomie est la discipline scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les humains et les autres composantes d’un système, et la profession ; qui applique principes théoriques, données et méthodes en vue d’optimiser le bien-être des personnes et la performance globale des systèmes ».

Cela suppose d’appréhender l’activité de travail dans toute sa complexité, de cerner aussi le rapport subjectif des salariés au travail, de comprendre les compromis auxquels ils procèdent dans leur activité de travail, entre les exigences de la production, leur santé et leur sécurité, de resituer ce qui se joue au travail en relation avec les autres sphères de vie. Car comprendre l’activité de travail suppose non seulement de prendre en compte les conditions de l’exercice du métier, les objectifs à atteindre, mais aussi les objectifs propres aux salariés, certains orientés vers les objectifs professionnels, d’autres centrés sur soi ou sur des éléments de vie plus personnels. Comprendre les départs précoces, suppose de tenir ces différentes dimensions que sont le travail et les sphères de vie personnelles, sociales.

Nous avons voulu centrer nos investigations sur l’activité de travail. Sans pour autant aller dans les classes suivre les enseignants dans leur activité (cette approche a déjà été développée en ergonomie par l’équipe de K. Messing, qui a publié de nombreux articles sur l’activité de travail des enseignants en situation de gestion de classe, en particulier en primaire – par exemple Messing, 2002), ni reprendre la démarche pratiquée par des collègues belges (Hansez et coll., 2004) privilégiant l’approche par questionnaires, non plus que celle de médecins du travail ayant travaillé sur la question de la santé des enseignants sur la base d’entretiens médicaux et de questionnaires de santé (Papart, 2003), nous avons opté pour des entretiens approfondis centrés sur l’activité du travail et le vécu du travail.

Notre objectif était de cerner, au travers de la reconstitution du parcours professionnel des enseignants, l’évolution de leurs rapports à l’activité de travail, les difficultés qu’ils rencontrent en fin de carrière au vu de leur activité antérieure, les arbitrages qu’ils sont contraints à réaliser en fonction de l’évolution du métier, du rapport aux élèves, aux parents, à l’institution, à la société dans sa globalité, de l’évolution de leur état interne.

Au travers de nos questionnements sur le travail, sur le quotidien de l’activité, sur les modes opératoires mis en jeu dans le travail, sur les stratégies de gestion des classes et des élèves, nous avons cherché à montrer quels sont les arguments parfois contradictoires qui poussent à rester dans le métier et/ou poussent à le quitter. Ces éléments ne concernent pas seulement ce qui se joue en relation avec le métier, mais intègrent également le rapport à sa santé, à la reconnaissance professionnelle... Comprendre le travail suppose d’analyser les équilibres qui se jouent dans les différentes sphères de vie ; et nous verrons que plus les enseignants avancent en âge, plus les équilibrages sont remis en jeu, nécessitent des ajustements.

Du point de vue de la structuration du document, nous procéderons en quatre temps.

1 - Tout d’abord, nous redéfinirons les objectifs de l’étude et préciserons la méthodologie à la base de notre recherche.

2 - Ensuite, nous présenterons une synthèse de ses principaux résultats par niveaux de classes. En effet, il nous a semblé important de montrer la spécificité des métiers de l’enseignement, l’impact des modes d’organisation du travail sur les marges de manœuvre des salariés et la manière différentielle dont s’y jouent les fins de carrière. Cette approche vise à mieux comprendre le lien entre les décisions de départ et les formes de pénibilité du travail dans des contextes où chez les enseignants, selon les niveaux de classes, les temps de travail sont différents, l’âge des élèves est différent, le rapport à la scolarité s’exprime différemment, le champ des disciplines traitées par les professionnels varie... Nous proposerons ensuite des pistes d’améliorations en termes de conditions de travail, tenant compte de ces spécificités des métiers.

3 - À partir de cette analyse, nous identifierons des invariants entre les différents métiers de l’enseignement, permettant de mieux comprendre autour de quels facteurs sont réalisés les arbitrages complexes des fins de carrière ; ceux-ci pouvant s’exprimer dans la sphère professionnelle comme dans la sphère privée.

4 - Nous tirerons enfin de ces analyses des indications générales pour l’action, en montrant que si, les fins de carrière constituent un enjeu important en termes de gestion des ressources humaines, elles interrogent fondamentalement les conditions de travail, les conditions d’exercice du métier dans toutes ses dimensions : institutionnelle, organisationnelle, matérielle, le développement des compétences, et la santé au travail.

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Une évaluation des effets des baisses de cotisations sociales sur les bas salaires dans le cadre de la réforme Fillon de 2003

#55 - juillet 2009 - Matthieu Bunel, Richard Duhautois, Fabrice Gilles, Patrick Kwok, Yannick L'Horty, Marianne Pauchet, Corinne Perraudin

La réforme Fillon du 17 janvier 2003 a unifié les dispositifs d’exonération de cotisations sociales entre les entreprises aux 35 heures et celles aux 39 heures. L’harmonisation des dispositifs coïncide avec une montée en charge des exonérations de cotisations sociales qui vont représenter un montant de plus de 20 milliards d’euros à partir de 2004. Toutefois, la réduction des cotisations sociales est nettement plus marquée pour les entreprises qui n’étaient pas à 35 heures que pour les entreprises qui étaient passées à 35 heures, particulièrement pour les salaires situés autour de 1,3 Smic.

Ce rapport de recherche, effectué dans le cadre d’une réponse à un appel à projet lancé par la Mission de l’animation de la recherche de la Dares, propose une évaluation ex post des effets nets sur l’emploi et les salaires de la réforme Fillon. L’évaluation mobilise des techniques paramétriques et non paramétriques appliquées à des données couplées employeurs-salariés issues d’un appariement entre les fichiers de l’Acoss et des DADS sur la période 2002-2005.

Le chapitre 1 décrit la nature et le calendrier du choc sur les cotisations sociales et permet de constater que l’unification des mesures d’exonération a eu des effets très différenciés selon les catégories d’entreprises. Dans le chapitre 2, nous présentons les données qui sont des indicateurs au niveau établissement construits en mobilisant les données salariés des DADS de l’Insee qui ont été appariés avec plusieurs bases de l’Acoss (bases Sequoia, Orme et Arome) qui donnent le montant et la nature des exonérations dont bénéficient effectivement les entreprises, alors que toutes les études précédentes sur ce sujet ont procédé par simple imputation de barème. Dans le chapitre 3, nous étudions les caractéristiques des entreprises selon leur degré d’exposition aux exonérations et à leur réforme. Ce chapitre illustre à quel point l’unification des exonérations a eu des effets différenciés selon les entreprises, en particulier selon leur taille et leurs effectifs. Dans le chapitre 4, nous poursuivons l’analyse en étudiant les flux bruts d’emploi, c’est-à-dire le processus de créations et destructions d’emploi, selon l’intensité des exonérations. L’évaluation proprement dite est présentée au chapitre 5 où nous mobilisons un sous-échantillon constitué d’un panel de près de 80 000 entreprises pérennes de plus de cinq salariés. Nous comparons le niveau de plusieurs variables d’intérêt avant et après la réforme Fillon, et ce pour deux groupes d’entreprises : celles qui sont passées des mesures Aubry au dispositif Fillon d’un côté ; celles qui sont restées aux 39 heures et ont bénéficié des aides Fillon de l’autre. Pour chaque groupe d’entreprises, on regarde de quelle manière le fait de bénéficier d’une plus forte augmentation des allégements entre 2002 et 2005 influence son coût du travail unitaire et son niveau d’emploi, global ou peu qualifié. Nous mobilisons des techniques économétriques paramétriques puis non paramétriques afin de dégager des effets robustes. L’objectif est ici d’évaluer l’impact de la réforme Fillon sur l’emploi (global ou peu qualifié), les salaires et le coût du travail, au sein des entreprises passées aux 35 heures ou restées aux 39 heures.

Il est montré que les entreprises qui ont le plus bénéficié de la hausse des exonérations ont vu leur niveau d’emploi croître davantage que les autres. Globalement, comme la majorité des entreprises à 39 heures ont bénéficié de cette hausse, la réforme Fillon leur a permis d’accroître relativement leur niveau d’emploi. En revanche, pour les entreprises à 35 heures la situation inverse est observée et la réforme a conduit à une baisse relative de l’emploi. Du fait de ces effets de redistribution de l’emploi entre entreprises, la réforme Fillon n’a pas eu d’effet clair sur l’emploi agrégé, qu’il soit mesuré en effectif ou en équivalent temps plein. 

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Les baisses de cotisations sociales ultramarines : une évaluation ex ante à l'aide d'une maquette ad hoc

#54 - janvier 2009 - Nicolas Bauduin, François Legendre, Yannick L’Horty

Dans les quatre départements d’outre-mer, les entreprises bénéficient d’un ensemble d’aides fiscales et sociales qui leur permettent de déroger au droit commun métropolitain, afin de compenser les surcoûts liés à leur situation de région ultrapériphérique. L’une des aides les plus importantes en montant budgétaire et en nombre de personnes concernées est la réduction de cotisations sociales patronales fixée par la Loi Girardin.

Par rapport aux mesures Fillon qui sont en vigueur en métropole depuis 2003, le dispositif domien a plusieurs particularités. Il consiste en une exonération intégrale des cotisations patronales de Sécurité sociale, sous la forme d’un montant qui constitue une proportion fixe de la rémunération brute, jusqu’à un seuil de salaire qui varie selon le secteur d’activité. Le seuil est de 1,3xSmic pour les entreprises de transport, le BTP et les entreprises de moins de 10 salariés. Il est de 1,4xSmic dans l’agriculture et dans l’industrie et de 1,5xSmic dans le tourisme où le dispositif Girardin est le plus généreux. Réformé et étendu en 2000 et en 2003, ce dispositif va être à nouveau modifié dans le cadre de la loi pour le développement économique de l’outre-mer (dite Lodéom, ex-loi Dépeom). L’objet de ce rapport est de proposer une évaluation des effets sur l’emploi de ce dispositif et de plusieurs propositions de réformes.

Pour évaluer les effets des mesures Girardin, nous construisons une maquette théorique permettant de reproduire de façon stylisée la formation de l’emploi ultramarin tout en distinguant plusieurs secteurs d’activité et plusieurs catégories de main-d’œuvre. Dans chacun des quatre Dom, nous divisons l’économie en six secteurs d’activité qui emploient neuf catégories de main-d’œuvre. Les baisses de coûts du travail induites par les mesures d’exonération de cotisations patronales ont un impact favorable sur l’emploi au travers d’effets de substitution entre catégories de main-d’œuvre et d’effets de volume (ou de compétitivité) qui augmentent l’activité via des baisses de prix. Ces effets sont différenciés selon les secteurs d’activité qui n’ont pas le même degré d’exposition à la concurrence mondiale. La maquette est étalonnée sur chaque Dom à partir de distributions de salaires tirées des DADS et de données de comptabilité nationale. Pour chaque Dom, la maquette permet de chiffrer les conséquences sur l’emploi, par secteur et par niveau de salaire, des mesures d’allégements de cotisations sociales ultramarins.

Selon notre évaluation ex ante du dispositif Girardin, près de 10 % des emplois seraient supprimés dans les Dom en cas d’alignement sur le régime métropolitain (mesures Fillon). Les effets seraient les plus massifs dans le secteur du tourisme qui perdrait 21 % de ses emplois mais seraient également importants dans les secteurs qui ne bénéficient pas de l’allégement Girardin, dont l’emploi diminuerait de 4 % par effet de « déversement ». Ces ordres de grandeurs seraient assez proches dans les quatre Dom, avec un recul de l’emploi peut-être un peu plus marqué en Guyane et en Guadeloupe qu’en Martinique ou qu’à la Réunion. Une suppression pure et simple de tous les allégements de charge (Girardin et Fillon) se traduirait quant à elle par un recul de l’ordre de 15 % des emplois, soit environ 44 000 emplois perdus dans les quatre Dom. Compte tenu du coût des mesures, d’un peu plus de un milliard d’euros, le coût par emploi créé grâce au dispositif d’exonération est d’environ 23 000 euros par emploi et par an. Ce chiffre est dans un ordre de grandeur comparable à celui de l’effet des mesures d’exonération en vigueur en métropole si l’on se réfère au consensus des évaluations disponibles. En outre, il s’agit d’un coût brut qui ne tient pas compte des rentrées de cotisations sociales induites par les créations d’emploi et des moindres sorties de transferts sociaux liés à la baisse du chômage. La réforme de 2009 prévue dans le projet de Loi de Finance (article 65) unifie les seuils à 1,4xSmic et plafonne les exonérations à un niveau de salaire de 3,8xSmic, pour toutes les entreprises à l’exception des secteurs prioritaires pour lesquels le plafond de 1,4 Smic est porté à 1,6 Smic et où l’exonération s’annule à 4,5 Smic au lieu de 3,8 Smic. Selon nos chiffrages, cette réforme se traduirait par un recul de l’emploi de l’ordre de 1,4 %. Ce recul sera le plus sensible aux deux extrémités de la distribution des salaires.

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