Connaissance de l'emploi 2014
Entre subordination et indépendance : la difficile insertion professionnelle des jeunes diplômés auto-entrepreneurs
#116 - décembre 2014 - Elsa Vivant
Mis en place en 2009 pour soutenir la création d’entreprise, permettre l’exercice d’activités accessoires et lutter contre le travail au noir, le régime de l’auto-entrepreneur a fait l’objet de nombreuses critiques, aussi bien de la part des fédérations d’artisans que des syndicats de travailleurs.
Une enquête, menée auprès d’étudiants et de diplômés auto-entrepreneurs dans le champ de l’urbanisme, documente la variété des usages de ce régime. Elle relève les confusions qu’il entretient et conforte assez largement l’inquiétude de ses détracteurs quant aux risques et limites qu’il peut comporter dans un contexte de crise. Elle laisse craindre qu’il ne se diffuse comme une étape de plus dans le long parcours d’accès à l’emploi durable.
Les jeunes, inscrits à ce régime pour entrer sur le marché du travail et se constituer une expérience professionnelle, se trouvent piégés dans des relations d’emploi ambiguës lorsque, loin de l’indépendance promise, il les enferme dans des situations de sous-traitance ou de subordination. Mais la précarité de ce régime peut aussi revêtir les atours de l’entrepreneur, si bien que tous n’adoptent pas la même attitude, entre rejet et conversion.
La solidarité active en question
#115 - décembre 2014 - Anne Eydoux, Bernard Gomel
Le revenu de solidarité active (RSA) a été mis en place en 2009 pour encourager, récompenser et mieux accompagner le retour à l’emploi. Pourtant, des travaux avaient montré que les obstacles au retour à l'emploi, loin d'être principalement monétaires (coût de la reprise d'activité), tiennent aux difficultés rencontrées (problèmes de santé, contraintes familiales, manque de formation) et sutout à l'insuffisance des offres d'emploi. Un minimum social, même assorti d’un complément de ressources (RSA-activité), ne pouvait résoudre seul ces difficultés, surtout en période de chômage massif. La mise en œuvre de la solidarité active a mélangé les logiques (soutien au revenu et récompense du travail) et les instruments (prestation sociale et crédit d'impôt). Elle a contribué à transférer la responsabilité de l’insertion aux allocataires et aux acteurs de l’accompagnement. Face au projet de « prime d’activité », qui entend renforcer la solidarité active en fusionnant RSA-activité et prime pour l’emploi, il convient de réaffirmer que le soutien au revenu et à l’insertion relève d'abord de la responsabilité publique.
"J'ai une femme exceptionnelle". Carrières des hommes hauts fonctionnaires et arrangements conjugaux
#114 - novembre 2014 - Alban Jacquemart
Majoritaires au sein de de la Fonction publique d’État (54 %), les femmes n’étaient en 2011 que 26,5 % des cadres à y occuper des fonctions d’encadrement et de direction. Une inégalité professionnelle qui persiste en dépit du développement de politiques d’égalité. C’est pour mieux en comprendre les mécanismes que la Direction générale de l’administration et de la fonction publique a commandité une recherche qualitative auprès d’agent.e.s de la haute administration.
Cette enquête montre à quel point, même (ou a fortiori) dans la Haute Fonction publique, la conciliation entre sphères professionnelle et privée reste un problème essentiellement féminin. En effet, l’organisation du travail y est telle que seuls peuvent se plier aux exigences de leurs postes les cadres dont la conjointe, bien que tout aussi diplômée, assume l’exclusivité des charges familiales et désinvestit la vie professionnelle, devenant « une femme exceptionnelle » au service de la carrière de son conjoint. Ces cadres ne modifient leurs arrangements conjugaux que lorsque leur couple est en danger ou qu’ils éprouvent des déconvenues dans leur carrière. Des constats qui font mesurer le chemin restant à parcourir sur la voie de l’égalité professionnelle.
Sourds au travail : la communication en entreprise au prisme de la loi sur le handicap
#113 - septembre 2014 - Sylvain Kerbourc'h, Sophie Dalle-Nazébi
Au-delà de l’obligation légale d’emploi de travailleurs reconnus handicapés, les entreprises ont vocation à soutenir l’activité et l’évolution professionnelle de ces derniers. Les ressources à mobiliser pour l’emploi de salariés sourds devraient alors se concentrer sur les enjeux de communication(s) et les conditions du travail collectif, car travailler se fait toujours en rapport aux autres. Mais les stratégies des entreprises en matière de handicap rendent difficile l’obtention de ces ressources. Celle-ci dépend alors d’une négociation et d’un « travail en plus » de la part des salariés sourds pour réunir les conditions de communication et d’organisation propices à la collaboration avec leurs collègues. Les salariés sourds sont sourds : ils usent de repères visuels pour travailler, accéder aux prises de parole et informations et évoluer dans leur entreprise. L’indifférence à cet aspect des échanges est pour eux le fait d’une organisation qui ne prend pas au sérieux leurs compétences, complique leur travail et renie ses propres discours sur l’efficacité de ses salariés.
L'impact salarial de la maternité : une comparaison public-privé
#112 - juillet 2014 - Chloé Duvivier, Mathieu Narcy
À la naissance d’un enfant, de nombreuses mères changent de situation professionnelle : passage à temps partiel, interruptions de carrière, etc. Ces changements ne sont pas sans conséquences sur leur rémunération. Certains employeurs proposent cependant des mesures permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle, ce qui évite parfois aux mères des transitions coûteuses pour leur carrière et leur rémunération. En France, l’offre de mesures de conciliation reste néanmoins très inégale d’un employeur à l’autre, notamment entre les secteurs public et privé.
L’étude présentée ici compare les effets contrastés de la maternité sur la rémunération des mères dans le public et le privé et tente d’en comprendre les raisons. Au sein des deux secteurs, les mères de deux enfants ou plus perçoivent des salaires mensuels plus faibles que les femmes sans enfant, principalement parce qu’elles effectuent moins d’heures. Cependant, la maternité a un effet plus marqué pour les salariées du privé, car les interruptions d’activité y sont plus fréquentes et plus pénalisantes.
Les conseils de prud'hommes : un frein à l'embauche ?
#11 - juin 2014 - Sebastian Schulze-Marmeling
Dans le débat public français, le système des conseils de prud’hommes est souvent perçu comme l’instrument d’un droit qui sur-règlemente le marché du travail et freine les embauches.
L’analyse comparative des données disponibles conduit à reconsidérer ce point de vue en montrant que les conseils prud’homaux sont loin d’être une exception « à la française », que le recours à ces juridictions est relativement stable au fil du temps et qu’il n’est pas plus élevé en France qu’ailleurs en Europe. Ces données étayent l’hypothèse que c’est plutôt la montée du chômage qui augmente les recours prud’homaux et non l’inverse.
Déposer une demande auprès des conseils de prud’hommes n’est au demeurant que la dernière étape d’un processus qui prend sa source dans un conflit survenu au sein de l’entreprise. De fait, il ressort de notre recherche que, dans la relation de subordination liant employeur et salariés, la participation de ces derniers à la formulation des règles et à la prise de décision diminue l’émergence des conflits et, en conséquence, le taux de procès prud’homaux.
Un enjeu au cœur des transformations du service public de l'emploi : externaliser le placement
#110 - mai 2014 - Claire Vivés
De 2003 à 2008, l’Unédic expérimente au sein du service public de l’emploi (SPE) une nouvelle modalité de prise en charge des demandeurs d’emploi : certains d’entre eux sont confiés à des « opérateurs privés de placement » (OPP) pour améliorer le reclassement. Ces expérimentations visent non seulement à accroître l’efficacité de l’accompagnement mais également à mettre en concurrence l’ANPE et à jeter les bases d’une réforme du SPE. Elles sont contestées par l’Agence notamment au nom de l’égalité de traitement à laquelle elle est tenue.
Début 2009, la création de Pôle emploi règle les questions institutionnelles soulevées par le recours aux OPP. La participation de ceux-ci n’est pas remise en cause, mais le nouvel opérateur public se réapproprie l’externalisation du placement. Pôle emploi utilise en effet les OPP en tant que sous-traitants de capacité pour réaliser une activité à laquelle il ne peut plus faire face seul, tout en limitant fortement leurs marges de manœuvre par des prescriptions strictes de leurs prestations. L’opérateur public conforte ainsi sa position dominante au sein du SPE.
L’emploi et le travail hospitaliers à l’épreuve des réformes
#109 - avril 2014 - Mihaï Dinu Gheorghiu, Frédéric Moatty
Le secteur de la santé et, plus particulièrement, l’hôpital ont été ces dernières années au cœur d’un mouvement de réformes accéléré visant à maîtriser leurs dépenses et à les adapter aux évolutions de la demande de soins dans un contexte de vieillissement de la population. La maîtrise des dépenses de santé est, entre autres, passée par la mise en œuvre de la tarification à l’activité (T2A), qui a transformé le financement du secteur.
Les débats qui ont accompagné les réformes ont laissé en arrière-plan le travail des professionnels de santé, conçu comme une « ressource humaine », voire un simple « facteur de production », à économiser afin d’augmenter la « productivité » hospitalière. Une enquête auprès des établissements montre que ceux-ci ajustent leurs effectifs au plus près des soins prodigués, renforçant ainsi les contraintes ‒ parfois à la limite de la soutenabilité ‒ qui pèsent sur leurs salariés.