Connaissance de l'emploi 2005
Santé et emploi : coordonner l'action locale
#23 - décembre 2005 - François Brun
La prise en compte des questions de santé par les acteurs de l’insertion sociale et professionnelle se heurte en permanence à la difficulté de concilier, au quotidien, plusieurs logiques d’intervention. Les pratiques institutionnelles contrecarrent le suivi personnalisé propre au traitement des problèmes de santé, qui fait entrer pleinement dans l’intimité de la personne.
Les coordinations nécessaires entre les différents intervenants soumis à cette double contrainte n’en sont que plus ardues.
Au niveau local, les réalisations communes les plus probantes relèvent davantage du « bricolage » et de l’inventivité dans la mise en œuvre des dispositifs que de la simple mécanique.
Encore faut-il trouver les moyens d’assurer la validation et la poursuite d’expériences reposant sur de réelles coopérations.
La bulle internet en France : une révolution managériale en marche ?
#22 - novembre 2005 - Emmanuelle Savignac, Anne-Marie Waser
Start-up, start-upers, internet, entreprenautes, ces termes ont connu heure de gloire, bannissement, banalisation ou bien oubli. Un espace-temps de moins de dix ans aura ainsi porté puis dénié les acteurs du multimédia et de l'internet, ce secteur qui, lors de son émergence, a fait figure de révolution numérique, économique et managériale. Cette révolution technologique s’est en effet accompagnée d’une gestion des ressources humaines qui n’est pas sans poser question.
Nos observations de ce qui allait constituer la « bulle internet » ont débuté en 1998. Elles nous permettent d’analyser comment, dans un milieu où l’innovation a été associée au mirage de la nouvelle économie et aux espoirs de croissance, les acteurs ont appréhendé leur rapport au travail et leurs relations professionnelles. Dans ces entreprises complexées par la notion d’autorité, sur-responsabilisation et sur-investissement des salariés ont été paradoxalement encouragés, palliant les déficiences du collectif et les ambiguïtés d’un pouvoir qui s’est exercé sans s’assumer.
Temps de travail : de nouveaux enjeux ?
#21 - septembre 2005 - Jean-Louis Dayan, Christine Erhel
Les lois de réduction du temps de travail ont alimenté un large débat sur l’opportunité, puis sur les conséquences du passage aux 35 heures hebdomadaires en France. La controverse dure encore quant à leurs effets, sinon sur l’emploi, du moins sur les conditions de travail ou les performances des entreprises.
Cinq ans après, il est possible de prendre du recul. Apparaît alors un paysage contrasté, où les 35 heures légales sont loin d’être la norme universelle, en pratique et peut-être même en droit. De fait, la France n’occupe pas en Europe une position aussi singulière qu’on ne le croit parfois. Dans les entreprises, le temps de travail et son aménagement ont cessé de faire la une de la négociation.
Pour autant, ils restent un enjeu majeur, dont les termes sont en train de changer : la question de la durée du travail gagne à être posée non plus seulement dans une perspective hebdomadaire, mais dans celle du cycle entier de la vie active. Si l’on fait sien l’objectif européen d’une augmentation des taux d’emploi, il s’agit de favoriser l’activité professionnelle à toutes les étapes de la vie active, ce qui paraît plus ardu en France qu’ailleurs.
Un bilan de l'accompagnement des chômeurs
#20 - septembre 2005 - Bruno Crépon, Muriel Dejemeppe, Marc Gurgand
Le « Plan d’aide au retour à l’emploi » (Pare), mis en œuvre en France depuis juillet 2001, comprend un suivi individualisé des chômeurs plus systématique qu’auparavant. À ce titre, des actions personnalisées intensives peuvent être proposées aux demandeurs d’emploi par l’ANPE. Au moment où diverses réformes des politiques d’emploi sont à l’étude, il est intéressant d’évaluer les principales prestations du « Projet d’action personnalisé » (Pap). Ce programme a pour objet de permettre l’accès rapide à un emploi stable ou, pour les publics les plus en difficulté, de définir préalablement un projet professionnel adapté au marché du travail.
Le passage par une de ces actions a pour effet de faciliter l’accès à l’emploi. Plus important : les bénéficiaires qui ont trouvé un emploi se réinscrivent moins souvent au chômage. Cela impliquerait que l’emploi obtenu est plus stable. Les politiques d’accompagnement personnalisé, menées par ailleurs à grande échelle dans plusieurs pays européens, sembleraient donc contribuer à réduire le chômage.
Groupement d'employeurs et portage salarial : salariés à tout prix ?
#19 - août 2005 - Marie-Françoise Mouriaux
L’étude de deux modalités émergentes de relations de travail, le groupement d’employeurs et le portage salarial, cerne les limites de formes d’emploi tripartites, caractérisées par le recours à un « tiers employeur », et les enjeux liés à leur éventuel développement. La triangulation ainsi opérée vise à concilier des aspirations contraires : flexibilité de la main-d’œuvre et stabilité de l’emploi dans un cas, accès aux droits sociaux du salarié et indépendance professionnelle dans l’autre. Cette solution hybride témoigne à la fois de l’attractivité du statut salarial recherché pour la qualité de la protection sociale qu’il est censé assurer et de l’éclatement du modèle auquel il se réfère. L’analyse de dispositifs théoriquement conçus pour faciliter ou sécuriser des situations professionnelles parfois instables met en évidence l’émergence de nouvelles disparités. Elle démontre, en filigrane, l’utilité d’inscrire d’éventuels aménagements du droit dans une réflexion plus globale sur le statut du travail et de l’activité.
Apprendre vraiment du Danemark ?
#18 - juin 2005 - Jean-Claude Barbier
Une véritable vogue du « modèle danois », supposé combiner sécurité et flexibilité, s’est emparée de la France : nombreux sont ceux, politiques ou économistes, qui suggèrent d’imiter le Danemark en telle ou telle de ses caractéristiques. L’analyse empirique précise de la société danoise dévoile des réalités cependant bien différentes de l’image d’un « miracle danois ». Un trait essentiel émerge, évidemment impossible à importer par on ne sait quelle « bonne pratique » : c’est la cohérence des arrangements institutionnels de ce petit pays relativement riche et homogène, qui permet qu’une « précarité » à la française y soit tout bonnement inconnue pour ses habitants de longue date. Apprendre vraiment du Danemark en France, c’est assimiler une leçon sociologique simple : la réforme d’un système d’emploi et de protection sociale, pour autant qu’elle doive s’imprimer dans la durée d’une réalisation effective, doit pouvoir s’inscrire dans une cohérence sociétale propre. Ces cohérences restent malheureusement trop souvent ignorées.
Les nouvelles inégalités dans la banque
#17 - juin 2005 - Olivier Godechot, Céline Fleury
L’étude des bilans sociaux de trois grandes banques françaises montre que l’investissement sur les marchés financiers a eu des conséquences importantes sur leur politique salariale.
En vingt-cinq ans, dans l’une de ces entreprises, le montant des dix plus grosses rémunérations a été multiplié par vingt-cinq, passant de 230 000 euros en moyenne en 1978 à près de six millions d’euros en 2001. Loin d’être des PDG et des DG, ces Working Rich sont surtout des chefs d’équipe dans les nouvelles salles de marchés.
Au-delà du sort réservé à ces quelques personnes, c’est l’ensemble de la répartition des salaires qui devient plus inégalitaire. Ces banques s’éloignent d’un régime modéré d’inégalité similaire à celui de la Fonction publique, dépassent celui en vigueur chez les salariés du privé et sont sur la voie de rattraper le niveau américain d’inégalité. Un tel modèle est-il durable ? Les banques doivent aussi tenir compte des tensions sociales qu’une telle répartition génère, y compris au plus haut niveau de la hiérarchie.
La coopération au travail selon les salariés
#16 - mai 2005 - Mihaï Dinu Gheorghiu et Frédéric Moatty
Depuis plus de vingt ans les restructurations d’entreprises ainsi que les changements techniques et organisationnels promeuvent dynamiques collectives et coopération des salariés mais aussi autonomie et responsabilité individuelle. Pourtant, les divergences d’intérêts entre salariés et dirigeants n’ont pas disparu et le remodelage des collectifs de travail peut rendre problématique la formation d’identités collectives.
L’enquête Changements organisationnels et information (COI) s’est intéressée aux significations et enjeux des réorganisations pour les salariés. Elle dresse le portrait des « travailleurs collectifs » de l’industrie et dégage certaines caractéristiques de leurs conditions de travail. Mais elle décèle également des différences dans la perception et le vécu des changements, différences liées à l’appartenance socioprofessionnelle et aux positions occupées dans les groupes de travail. Elle montre en outre que les salariés n’adhèrent pas tous à la figure du « coopérant ».
Maintenir les seniors en emploi
#15 - avril 2005 - Jérôme Gautié
L’objectif affiché d’accroître le taux d’emploi des seniors dans les années à venir soulève la question des conditions de leur maintien en activité. À partir de quelques monographies de grandes entreprises, on peut essayer d’analyser certains mécanismes expliquant leur éviction précoce, au-delà du consensus social qui a consisté, dans les années passées, à reporter sur eux des réductions d’effectif liées aux restructurations. Si la question de leur coût (du fait notamment de la prime d’ancienneté) reste ouverte, il semble que les nouvelles formes d’organisation du travail et la codification des savoirs qu’elles entraînent ont pu contribuer à éroder ce qui faisait l’avantage comparatif des seniors. Il faut cependant noter que l’appréciation de leur apport à l’entreprise est très variable selon les acteurs interrogés (et spécialement au sein de l’encadrement). L’intensification du travail et la disparition, dans de nombreux processus de production, de postes périphériques moins exigeants en termes de productivité rendent plus difficile l’aménagement des fins de carrière.
Les seniors entre formation et éviction
#14 - avril 2005 - Luc Behaghel
Selon une idée reçue, les travailleurs âgés s’adapteraient mal au changement technologique et organisationnel, handicap qui serait renforcé par un déficit de formation. La théorie économique est pour sa part plus nuancée : un changement rapide peut inciter à des formations plus fréquentes, mieux réparties sur la vie active, et bénéficier ainsi aux seniors.
Empiriquement, l’étude d’un échantillon d’entreprises de l’industrie met en évidence une double réponse au changement organisationnel et technologique : certains seniors sont évincés, mais ceux qui restent sont davantage formés.
Ce résultat remet en cause le discours alarmiste sur la formation des seniors, surtout s’il donne à croire que des formations plus fréquentes après 50 ans résorberaient tout problème.
C’est peut-être plutôt en amont qu’il convient d’agir, en promouvant des carrières diversifiées qui habituent les travailleurs à un environnement changeant et en diffusant des pratiques organisationnelles et technologiques mieux adaptées aux travailleurs âgés.
Les nouvelles formes d'organisation du travail en Europe
#13 - mars 2005 - Antoine Valeyre, Edward H. Lorenz
Avec le développement de nouvelles pratiques organisationnelles considérées comme plus performantes, le travail a connu des changements importants depuis une vingtaine d’années dans les pays de l’Union européenne. En ce début de millénaire, la troisième enquête européenne sur les conditions de travail permet de faire le point sur les formes d’organisation du travail dans les pays membres, telles que les perçoivent les salariés.
La mise en évidence de quatre formes d’organisation du travail contrastées - apprenantes, au plus juste, tayloriennes et de structure simple - ne confirme pas la thèse de la diffusion d’un nouveau modèle organisationnel dominant qui viendrait supplanter le modèle taylorien.
Le déploiement de ces formes d’organisation dans les pays de l’Union présente de fortes disparités qui tiennent en partie à la diversité des structures sectorielles et socioprofessionnelles des emplois, mais qui semblent aussi relever, entre autres facteurs, de la spécificité des contextes institutionnels nationaux.
Innover dans le social : l'exemple des missions locales
#12 - février 2005 - Marie-Christine Bureau, Colette Leymarie
Les missions locales, dont le cœur de métier est l'accompagnement des jeunes dans leur insertion sociale et professionnelle, s'efforcent d'innover dans quatre directions distinctes : l'action sur les marchés locaux du travail, en vue de stabiliser les parcours d'emploi ; la prise en compte de difficultés de plus en plus graves, en particulier au niveau de la santé ; la conception de services attractifs dans l'espoir de fidéliser les usagers ; l'action citoyenne pour faciliter l'accès des jeunes à l'espace public.
L'émergence de l'innovation au sein des équipes est favorisée par une politique de recrutement diversifiée et par la reconnaissance interne des spécialisations de chacun : les salariés tendent en effet à développer des projets sur la base de leurs expériences professionnelles ou personnelles antérieures. Elle est freinée en revanche par certaines contraintes liées à la gestion des dispositifs d'insertion, en particulier lorsqu’une évaluation basée sur la mesure des retours à l'emploi à court terme prend le pas sur une évaluation « en continu » de l’activité des missions locales.
"Candidat de plus de 40 ans, non diplômé ou débutant s'abstenir"
#11 - janvier 2005 - Emmanuelle Marchal, Géraldine Rieucau
La comparaison d’annonces d’offres d’emploi françaises, britanniques et espagnoles diffusées sur internet met en relief plusieurs spécificités françaises.
La sélection des candidats s’appuie davantage qu’ailleurs sur des présupposés liés à leur âge, à leur formation (notamment leur diplôme) ou à la durée de leur expérience, mais aussi sur leur apparence, comme le révèle la nécessité d’envoyer parfois une photographie. De telles pratiques risquent de conduire à une exclusion précoce et massive de candidats sur la base de critères discutables, voire injustes.
La comparaison avec l’étranger montre bien que l’on peut procéder autrement.
Une réflexion sur ces questions est plus que nécessaire en France, ne serait-ce que parce que la sélection « à distance » est une source importante de discrimination à l’embauche.