Documents de travail - 2003
Quelle troisième voie ? Repenser l'articulation entre marché du travail et protection sociale
#30 - septembre 2003 - Jérôme Gautié
Les pays industriels avancés ont connu d’importantes mutations au cours des trente dernières années, aussi bien d’ordre économique (montée du chômage, de la précarité, des inégalités) que sociales (entrée des femmes sur le marché du travail, allongement de l’entrée dans la vie active, montée du divorce…). Ces évolutions ont contribué à mettre en porte-à-faux l’articulation entre marché du travail et protection sociale, qui avait émergé durant l’après-guerre.
Le nouveau défi est notamment d’essayer de concilier flexibilité des marchés (et notamment du travail) et sécurité (économique et sociale) des personnes.
Dans cette optique, Giddens a avancé le concept de « troisième voie ». Mais ce dernier est relativement flou. À partir de ses principes généraux, ce n’est pas une mais (au moins) deux « troisièmes voies » qui semblent pouvoir être esquissées, la première se référant à « l’État social patrimonial » (Asset-Based Welfare), la seconde pouvant être reliée à la théorie des « marchés du travail transitionnels ». Ce sont en effet deux conceptions du fonctionnement du marché du travail et du rôle de la protection sociale, des régulations collectives et de l’individu lui-même qui s’opposent. Ces différences peuvent s’illustrer à partir des conceptions de deux éléments centraux aux deux modèles : la formation d’une part, « l’activation » d’autre part. Au total, deux conceptions de la citoyenneté sociale émergent : la première fondée sur les capitaux (au sens large), la seconde sur les « capabilités ».
Le travail collectif chez les salariés de l'industrie : groupes sociaux et enjeux de la coopération au travail
#29 - septembre 2003 - Mihaï Dinu Gheorghiu, Frédéric Moatty
Au sein des nouvelles formes d’organisation du travail, la coopération et le travail collectif sont devenus des enjeux décisifs de la productivité pour le management et servent d’instrument dans la mobilisation des salariés. Mais ces notions clés de la littérature moderne du management sont polysémiques et reposent sur des représentations divergentes entre le management et les salariés. Cette étude se centre sur l’analyse des réponses des salariés de l’industrie à l’enquête sur les « Changements organisationnels et l’informatisation » de 1997 et sur celle des entretiens d’une post-enquête sur le travail collectif. Les significations et les enjeux du travail collectif diffèrent fortement selon les positions occupées. Les statistiques comparant travail individuel et travail collectif montrent que ce dernier est surtout développé dans les grandes entreprises d’organisation complexe. Les performances du travail collectif reposent sur une intensification des rythmes de travail et une « autonomie encadrée » mais aussi sur une aide plus fréquente du collectif de travail ou de la hiérarchie. D’autre part, les entretiens permettent d’établir une typologie des salariés travaillant collectivement selon leur position d’« exécutants », de « médiateurs » ou de « dirigeants ».
L’intensification des relations de coopération apparaît liée aux changements organisationnels.
Les rôles relationnels liés aux activités de médiation ou d’encadrement s’accroissent. Les échanges s’intensifient au sein et à l’extérieur des collectifs de travail, ce qui va de pair avec un accroissement et une diversification de l’usage des technologies de l’information et de la communication. Les entretiens réalisés avec des ouvriers indiquent que le sens des mots « coopération » et « équipe » est souvent celui de « coopération forcée » et d’« autonomie contrôlée ». Cependant, les relations de coopération ne se réduisent pas aux membres des équipes organisées ou des collectifs institués. Le groupe de travail se distingue de l’organisation dans la mesure où il constitue pour ses membres une réalité sui generis, dotée d'une forme de sociabilité propre (« l'esprit d'équipe ») et de valeurs éthiques partagées. Le respect d'autrui et la résolution des conflits en interne sont les principales conditions exigées pour « faire équipe ». Les relations de coopération au travail s'appuient sur des dispositions durables, attachées au mode de socialisation des personnes, et leur analyse suppose la prise en compte des trajectoires des membres du groupe et l'estimation des chances individuelles de carrière associées au travail en groupe.
Comment les nouvelles pratiques organisationnelles façonnent-elles les emplois de production ? Résultats d'une enquête auprès d'employeurs et d'employés de l'industrie française
#28 - septembre 2003 - Nathalie Greenan, Jacques Mairesse
Nous utilisons, dans cet article, une enquête française menée en 1997 auprès d’employeurs et de salariés, l’enquête « Changements organisationnels et informatisation » (COI), pour décrire les caractéristiques générales du changement organisationnel dans les entreprises industrielles de plus de cinquante salariés. Nous travaillons sur un échantillon de 3 286 entreprises et deux échantillons de salariés « permanents » (ayant au moins un an d’ancienneté) : 2 612 ouvriers et 1 162 techniciens et agents de maîtrise. Nous poursuivons deux objectifs principaux : discuter de nouvelles façons de mesurer le changement organisationnel, qui tiennent compte de la diversité de ses orientations, et analyser empiriquement comment les pratiques organisationnelles ont façonné les emplois de production dans l’industrie française au cours des années quatre-vingt-dix.
Dans la première section, nous décrivons les formes prises par le changement organisationnel, telles qu’elles sont exposées par le management dans le volet « entreprise » de l’enquête COI. Nous nous tournons ensuite vers le volet « salariés » de l’enquête pour analyser les profils d’organisation du travail qui se dégagent de la description des postes de travail faite par les ouvriers, techniciens et agents de maîtrise de nos échantillons. Nous comparons, enfin, les informations recueillies à ces deux niveaux différents.
Nous trouvons qu’une composante commune aux nouvelles pratiques organisationnelles est la production, dans les ateliers, d’un savoir collectif qui permet une amélioration continue du processus de production. En d’autres termes, les changements organisationnels induiraient une nouvelle façon de rationaliser la construction du savoir, qui inciterait les salariés de production à contribuer explicitement au progrès technologique. La structure de l’effort des ouvriers devient plus complexe puisqu’il leur est demandé de participer activement à la fois à la circulation de l’information et au flux de production. Cependant, certains résultats suggèrent que l’orientation dominante des réorganisations a changé après la récession de 1993, passant de stratégies de produits et de qualité à des stratégies de compression des coûts impliquant plus de pression sur le travail des techniciens et des agents de maîtrise et un ralentissement de l’« enrichissement » des emplois ouvriers.
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Vers une stabilisation des niveaux de formation en France ?
#27 - juillet 2003 - Catherine Beduwé, Jean-François Germe
La France, comme les autres pays européens, connaît depuis quarante ans une hausse du niveau d’éducation et de formation de sa population. Cette hausse n’est pourtant pas un processus continu. Elle s’est, en France, récemment et très fortement accélérée pour les générations nées autour de 1970 et s’est brutalement stoppée pour les générations nées à la fin des années 1970. Notre hypothèse est que les variations actuelles révèlent divers changements en cours dans les relations entre formation et emploi, dans la manière dont les individus envisagent la formation, dans l’évolution des besoins des entreprises. Il se pourrait que se mette en place un modèle où la formation en cours de vie active jouerait un rôle nettement plus actif dans la distribution de certifications et de diplômes, en complément, voire en substitution partielle, de la formation initiale. Nous cherchons d’abord à comprendre les raisons de la hausse des niveaux de formation en explorant différents angles d’analyse, puis nous reprenons chacun de ces angles d’analyse pour comprendre ce qui provoque l’arrêt de la progression.
Mondialisation et relations professionnelles en Europe : les leçons d’une comparaison entre la France et l’Espagne
#26 - mai 2003 - Isabel da Costa
Ce texte présente le débat international sur la question de la convergence des systèmes de relations professionnelles, en mettant l'accent sur la manière dont les théories en relations professionnelles ont traité le problème du changement économique et son impact sur les relations de travail et d'emploi. L'exemple des relations professionnelles dans les entreprises japonaises implantées en Europe, et plus particulièrement en France et en Espagne, démontre l'importance de l'interaction entre les stratégies des acteurs et les facteurs institutionnels dans la détermination des conditions de travail et d'emploi en Europe. Cette interaction implique une relation plus dynamique entre le changement économique et les institutions des relations professionnelles que celle qui est actuellement envisagée dans les théories prédominantes. La conclusion préfère à la notion de « globalisation » celle d'« intégration économique » qui donne une place non seulement au marché mais aussi au débat social et politique, aux niveaux national et européen dans la détermination des règles de la relation d'emploi.
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Formes d'intensification du travail, dynamiques de l'emploi et performances économiques dans les activités industrielles
#25 - mai 2003 - Antoine Valeyre
Ce document de travail porte sur l’intensification du travail dans les activités industrielles. Il en montre l’ampleur, le caractère multiforme et la diversité sectorielle. Il met en évidence la persistance de ses formes tayloriennes, la montée de ses formes événementielles avec le développement de l’automatisation et l’extension de ses formes marchandes avec la diffusion des organisations en flux tendus. Il examine le rôle des structures d’âge de la main-d’œuvre dans la relation entre intensification du travail et évolution de l’emploi. Enfin, il montre les liens qui s’établissent entre formes d’intensification du travail et performances économiques en termes de productivité du travail et de rentabilité économique
Insécurité de l'emploi : le rôle protecteur de l'ancienneté a-t-il baissé en France ?
#24 - avril 2003 - Luc Behaghel
L’insécurité de l’emploi, mesurée par le taux de transition annuel de l’emploi vers le non emploi, a considérablement augmenté entre 1975 et 2000 en France. Mais, contrairement à ce qui a été observé aux États-Unis, les salariés anciens d’âge médian ont été remarquablement épargnés. La hausse de l’insécurité s’est concentrée sur les salariés de moins de dix ans d’ancienneté et sur les salariés de plus de 55 ans. Ces faits stylisés ne peuvent s’interpréter uniquement par des chocs technologiques, par la hausse de l’incertitude ou par l’évolution de la protection de l’emploi. L’hypothèse d’un déclin des contrats de long terme, sans rupture des contrats existants, est compatible avec les principaux faits observés ; elle permet en particulier d’interpréter la différence constatée avec les États-Unis et offre une piste d’explication du maintien des préretraites, malgré les nombreuses critiques dont elles ont été l’objet sur la période.
Conception et utilisation des standards d’évaluation. Le paradoxe français
#23 - avril 2003 - Jean-Claude Barbier
Le présent texte propose une analyse des développements de l’évaluation en France depuis les années quatre-vingt-dix ainsi que l’explication de la fragilité de cette « profession » (qui n’en est pas une), en termes d’advocacy coalition. Les conceptions de l’évaluation, en France, sont aussi diverses que les différents milieux qui les portent : pour une part d’entre eux, il s’agit d’aboutir, sinon à une hégémonie, tout au moins à l’érection d’une conception dominante. Le texte s’attache à analyser l’une de ces conceptions : celle qui fut construite systématiquement par le Conseil scientifique de l’évaluation. Le cœur de cette approche a reposé sur un dispositif relativement original. À l’écart des stratégies politiques et administratives, une autorité scientifique s’efforce, au nom de l’intérêt général, d’établir les conditions de possibilité d’une construction d’un jugement (sur des politiques et des programmes publics) le plus justifiable, aussi bien dans ses attendus, ses hypothèses que dans sa logique argumentative.
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La théorie aokienne des institutions à l'épreuve de la loi de 1841 sur le travail des enfants
#22 - mars 2003 - Hervé Defalvard
L’objet de cet article est, d’une part, de présenter le modèle des institutions développé par Aoki et, d’autre part, de montrer dans quelle mesure l’histoire de la loi du 22 mars 1841 sur le travail des enfants en confirme les prédictions théoriques. Le modèle d’Aoki réalise une synthèse originale entre l’approche des institutions en termes de règles, renvoyant aux travaux de North, et l’approche en termes d’équilibre, proposée par la théorie des jeux. Pour cela, il s’appuie sur le concept de « jeu subjectif » dans lequel l’institution est un équilibre de règle, résultant à la fois de la croyance commune, que tous suivent la règle, et de la réalisation des attentes associées à la règle. La longue gestation de la loi de 1841 montre à l’œuvre les facteurs externes et les facteurs internes, qui sont recensés par le modèle d’Aoki comme expliquant le processus de changement institutionnel. De même, le modèle aokien éclaire la non application de la loi de 1841 par sa référence à une masse critique en dessous de laquelle les déséquilibres dans les jeux subjectifs sont insuffisants à faire émerger une nouvelle institution, qui n’est donc pas à confondre avec une simple loi. Enfin, l’article montre que, en dépit de ses avancées, le modèle de jeu subjectif échoue à capturer un élément du changement institutionnel, lié à l’espace public de la règle.
Pourquoi les entreprises évaluent-elles individuellement leurs salariés ?
#21 - février 2003 - Patricia Crifo-Tillet, Marc-Arthur Diaye, Nathalie Greenan
Cet article vise à analyser les liens entre autonomie, travail en équipe et entretien individuel d’évaluation. Dans un modèle d’agence avec travail en équipe, nous montrons qu’une technologie de production se caractérisant par des interdépendances horizontales fortes et de la super-modularité ne garantit pas la coordination au sein de l’équipe. On peut penser que ces caractéristiques technologiques sont plus fréquentes dans les nouvelles formes d’organisation favorisant des objectifs de qualité, de délais ou de gestion au plus juste des ressources. Dans ces organisations, le coût de l’incitation monétaire à la coordination est croissant avec le niveau relatif des interdépendances technologiques. Le principal est alors incité à mettre en place un système d’incitations non monétaires moins coûteux pour lui. Les entretiens d’évaluation peuvent jouer un rôle d’incitation non monétaire à la coordination, en générant un signal destiné à convaincre le collectif de travailleurs de l’existence d’un esprit d’équipe. Dans cette perspective, la question traditionnelle du lien entre autonomie et entretiens d’évaluation devient vacante.
Les prédictions de ce modèle sont ensuite testées empiriquement en utilisant des données françaises issues des enquêtes « Changements organisationnels et informatisation » de 1997, « Techniques et organisation du travail » de1987 et 1993, et « Conditions de travail » de 1991 et 1998.