Rapports de recherche - 2008
Formes d'organisation du travail et relations de travail
#53 - décembre 2008 - Matthieu Bunel, Jean-Louis Dayan, Guillaume Desage, Corinne Perraudin, Antoine Valeyre
La recherche présentée dans ce rapport se propose d’analyser, à partir de l’enquête REPONSE 2004-2005, les relations qui lient les nouvelles formes d’organisation du travail avec les modes de gestion de la main-d’œuvre, les régimes de relations professionnelles et le passage aux 35 heures.
La première partie présente une typologie des principales formes d’organisation du travail qui prédominent dans les établissements couverts par l’enquête. Les résultats permettent de mettre en évidence quatre classes bien distinctes qui se rattachent par leurs caractéristiques respectives, à des modèles types couramment mentionnés dans la littérature : les organisations apprenantes, les organisations en lean production, les organisations tayloriennes et les organisations de structure simple. Cette étude apporte au débat de nouveaux arguments en faveur de la thèse de la pluralité des organisations innovantes, avec la mise en évidence de deux modèles distincts.
La deuxième partie étudie les déterminants structurels des formes d’organisation. Les résultats indiquent qu’une simple distinction des établissements selon le secteur d’activité et la taille des établissements ne suffit pas à caractériser les formes d’organisation du travail, puisque des différences en matière d’environnement de marché, de régime d’activité et de structures sociodémographiques de leur main-d’œuvre apparaissent également significatives.
La troisième partie étudie le lien entre les formes d’organisation du travail et les modes de gestion de la main-d’œuvre. Il apparaît alors, au vu de nos résultats, que les nouvelles formes d’organisation du travail combinent diverses pratiques spécifiques de gestion de l’emploi et des ressources humaines, qui se distinguent à bien des égards de celles mises en œuvre dans les établissements de formes tayloriennes. Cependant, cette conclusion de pratiques homogènes pour les nouvelles formes d’organisation du travail doit être largement nuancée, les résultats mettant en évidence des différences entre les formes apprenantes et les formes en lean production.
La quatrième partie est consacrée aux liens qu’entretiennent formes d’organisation du travail et relations professionnelles dans les établissements. Elle confirme que les régimes de relations professionnelles y sont avant tout commandés par un petit nombre de facteurs structurels. Alors qu’aucun lien ne se manifeste entre les formes d’organisation du travail et les instances représentatives du personnel, la forme d’organisation n’est pas sans effet sur la dynamique des relations sociales, notamment sur les pratiques de négociation.
La cinquième partie porte sur le lien entre les formes d’organisation du travail et les effets à moyen terme du passage à 35 heures. Trois dimensions sont successivement analysées : la date de passage ; l’opinion des représentants de la direction à propos des effets de la RTT sur l’emploi, l’organisation du travail et la compétitivité ; et l’évolution de l’emploi sur la période de 1998 à 2004.
Les déterminants de la gestion de l'emploi au-delà des frontières de l'entreprise
#52 - décembre 2008 - Corinne Perraudin, Héloïse Petit, Nadine Thèvenot, Antoine Rebérioux, Julie Valentin
L’hypothèse à l’origine de ce travail est que les transformations du tissu productif et des structures financières reconfigurent les modes d’exercice du pouvoir dans l’entreprise en accroissant notamment l’influence d’acteurs extérieurs à l’entreprise dans la définition de sa gestion de l’emploi. L’étude présentée ici s’appuie sur l’enquête REPONSE 2004-2005 pour estimer l’influence de trois types d’acteurs extérieurs, les actionnaires minoritaires, les donneurs d’ordre et les têtes de groupe, sur quatre dimensions de la gestion de l’emploi des établissements : la politique de mobilisation du travail (niveaux du recours aux CDD, à l’intérim et à la sous-traitance), l’évolution des effectifs, la politique salariale et l’implication des salariés.
Les principaux résultats sont les suivants :
- La cotation en bourse dessine un profil de gestion où de relativement bonnes conditions d’emplois (concernant le niveau des rémunérations et la stabilité de l’emploi) sont octroyées à un noyau dur de salariés. Le volume de travail mobilisé est adapté par le biais de contrats commerciaux (intérim et sous-traitance). Parallèlement, l’utilisation intensive de formes individualisées et flexibles de rémunérations peut être lue comme un mode de contrôle et de motivation de la main-d’œuvre.
- La position de preneur d’ordre paraît également associée à un profil de gestion de l’emploi particulier. Si l’effectif salarié semble relativement stabilisé, les pratiques de gestion de l’emploi paraissent surtout guidées par une volonté de minimisation des coûts illustrée par la faiblesse des dépenses directes (salaires) mais également indirectes (pauvreté des politiques salariales, d’information ou de négociations).
- Contrairement à la cotation en bourse ou à la sous-traitance, le fait d’être une filiale ne paraît pas induire de particularités fortes dans la gestion de l’emploi.
Activités, expérience et santé à l'épreuve des évolutions du travail : recherches dans quatre secteurs professionnels. Actes du séminaire Âges et travail 2007
#51 - novembre 2008 - Creapt-EPHE
Ce rapport de recherche présente les exposés et débats de l’édition 2007 du séminaire « Ages et travail » organisé par le Créapt. Ce séminaire, qui dure trois jours, est inclus dans les programmes d’enseignement du Master recherche d’ergonomie, et du Master de gestion des ressources humaines et sociologie. Il était, comme chaque année, ouvert aux chercheurs et praticiens intéressés et a rassemblé 75 participants.
Le thème retenu en 2007 était : « Activités, expérience et santé à l’épreuve des évolutions du travail : recherches dans quatre secteurs professionnels ». Ces quatre secteurs sont la santé, le transport ferroviaire, la métallurgie et l’agriculture.
Le choix de ce thème trouvait logiquement sa place dans le développement des réflexions sur les relations âges-travail, objet de recherche du Créapt. Dans l’analyse de ces relations il est nécessaire de prendre en compte l’imbrication de plusieurs dimensions temporelles, de moyen et long termes : les femmes et les hommes au travail avancent en âge, se transforment au fil de l’âge, leur santé et leurs compétences évoluent, mais en même temps l’entreprise se transforme, de même que le secteur auquel elle appartient, et la société dans son ensemble.
Une distinction, classique dans les recherches sur le vieillissement au travail, peut ici être opérée entre vieillissement « par » le travail, « par rapport » au travail et « dans » le travail (Volkoff, Gaudart, 2006). La première notion renvoie aux effets positifs ou néfastes du travail (et donc : des évolutions du travail) sur la manière dont l’organisme humain, les ressources physiologiques et cognitives, changent avec l’âge. La deuxième traduit l’idée qu’en changeant au fil de l’âge, on devient plus ou moins capable de faire face à telle situation de travail, et qu’en cas de désajustement on peut aboutir à des mécanismes sélectifs : réaffectations ou exclusions, ces mécanismes dépendant évidemment des variations ou des inerties dans les conditions et l’organisation du travail. La troisième acception signifie qu’à un moment donné, à tel âge, avec tel état de santé et au terme de tel parcours professionnel, on réalise son travail de telle manière, avec telles conséquences en termes de bien-être et d’efficacité ; et ces façons de faire, ces « modes opératoires » pour reprendre la terminologie ergonomique, les stratégies individuelles et collectives qui se développent dans la réalisation du travail, les ressources auxquelles on fait appel, les difficultés auxquelles on se heurte, les réussites ou les échecs qui en découlent, le « coût » physique, mental, psychique de ces stratégies, sont fortement conditionnées par l’évolution du milieu de travail.
À ces trois dimensions, le propos du séminaire suggèrerait d’ajouter deux autres, directement en lien elles aussi avec la thématique de « l’évolution ».
D’une part, il est légitime de s’intéresser – comme le font déjà des recherches dans diverses disciplines – aux relations entre l’âge et la situation de changement elle-même (Delgoulet, Marquié, 2002 ; Sterns et al., 1995) : à un âge donné, à un moment donné de son parcours professionnel, la confrontation à des transformations dans les technologies, l’organisation, les objectifs de travail, revêt des caractéristiques spécifiques à cette période de l’existence. Par exemple, chez les travailleurs expérimentés, la remise en cause fréquente des buts de travail, l’instabilité des collectifs, les changements insuffisamment préparés dans les systèmes de production, peuvent, en compromettant les stratégies fondées sur l’expérience, affecter le sentiment de reconnaissance au travail, la confiance mutuelle (et donc les conditions de transmission des savoirs professionnels), la satisfaction du travail bien fait, et de nombreuses composantes affectives et motivationnelles de la relation entre les opérateurs et leur travail.
D’autre part, il faudrait intégrer dans la réflexion des aspects moins factuels, en impliquant davantage la dimension des projets et des souvenirs, les dynamiques subjectives qui marquent les itinéraires professionnels, imbriqués plus généralement dans les parcours de vie (Baudelot, Gollac, 2003 ; Curie, 2000 ; Schwartz, 1989). Les évolutions du travail influencent en effet, non seulement les réalités vécues dans la vie professionnelle, mais les distances plus ou moins grandes entre ces réalités et les attentes qui les ont précédées, ainsi que les projets de transformations possibles, ou l’absence de tels projets.
On verra dans le déroulement du séminaire que les termes constitutifs de son titre sont à prendre dans une acception large. « Les évolutions », par exemple, peuvent inclure des non-évolutions, des stabilités voire des retours en arrière. Et dans la perspective de l’ergonomie, qui est d’agir sur les moyens de travail, il n’est pas toujours nécessaire de viser une transformation, il peut être préférable de chercher à préserver certaines caractéristiques fastes. L’activité » désigne ici l’ensemble des comportements, des réflexions, des prises d’informations, etc., qui sont le fait d’une personne en train de faire son travail, mais aussi les raisons pour lesquelles elle adopte ces comportements, les buts poursuivis ou réaménagés, les actions qu’elle écarte ou auxquelles elle renonce, ses réflexions à cette occasion (Savoyant, 1999). « L’expérience » sera abordée sous l’angle d’un ensemble d’événements qu’on a pu vivre, au travail ou en dehors, et auxquels on a pu, par la réflexion, donner des formes de structuration, de principes, qui fondent la possibilité d’en tirer parti dans le travail actuel (Mayen, Mayeux, 2003). « La santé » n’est évidemment pas à prendre dans une définition restreinte à la non-maladie, elle implique plus généralement l’état de bien-être, les petits troubles ou leur absence, la possibilité d’être épanoui, heureux de vivre, d’échapper à l’ennui, ou à la crainte. Enfin, activité, expérience et santé sont mis « à l’épreuve » des conditions de travail et de leurs évolutions : cette « épreuve » est l’occasion de tester la solidité des ressources d’expérience et de santé dont on dispose, voire de les enrichir, ou au contraire de se trouver dans des situations « éprouvantes » au sens courant du terme.
Les évolutions du travail, auxquelles on va s’intéresser ici, ont fait l’objet de nombreuses recherches en ergonomie et plus généralement en sciences sociales (Gollac, Volkoff, 2007). En termes très généraux, rappelons que la modernisation technique et la « tertiarisation » de l'économie ont modifié la nature des exigences physiques, sans nécessairement les atténuer. Les horaires de travail diurnes et réguliers sont en recul. L'intensité du travail, et en particulier l'accumulation de contraintes temporelles diverses, se sont accentuées. Les collectifs de travail sont moins stables. Les changements dans le contexte et dans les objectifs de travail se font plus fréquents. Ces mutations – ou parfois, on l’a dit, ces persistances – influent sur les activités, sur la santé et sur l’élaboration de l'expérience des travailleurs. Leurs caractéristiques générales se déclinent de façon différente selon les entreprises, et selon les secteurs de production. Le séminaire s'est donc attaché à mieux cerner ces processus, en les analysant dans quatre secteurs particuliers : l'hôpital, le transport ferroviaire, les industries métallurgiques et l'agriculture. Une demi-journée du séminaire a été consacrée à chacun des quatre secteurs étudiés. Des travaux de recherches en ergonomie, achevés ou en cours dans ces secteurs, ont été présentés et discutés. Ces présentations ont été complétées par la réaction – elle-même mise en discussion – d’un professionnel. Ces quatre temps d’échanges ont été précédés par une demi- journée d’introduction générale à la question des évolutions du travail, et suivis d’une séance de clôture consacrée davantage aux pistes d’action.
Les adultes-relais, six ans après le lancement du dispositif (2000-2005)
#50 - octobre 2008 - Cécile Baron, Baptiste Brossard, Patrick Nivolle, Nicolas Schmidt
Le programme Adultes relais, destiné au secteur non marchand, démarre en 2000, avec l’objectif de développer la médiation sociale et culturelle pour « améliorer, dans les quartiers relevant de la politique de la ville, les rapports sociaux dans les espaces publics ou entre les habitants et les services publics ». Les principales missions des adultes relais sont : accueillir, informer et accompagner les habitants dans leurs démarches avec les services publics ; accompagner et renforcer la fonction parentale ; développer les capacités d’initiative et de projet, etc.
L’employeur signe une convention de trois ans, renouvelable une fois, avec l’État, qui lui verse 80 % du Smic. Les adultes relais doivent être âgés d’au moins 30 ans, résider dans une zone urbaine sensible, être sans emploi ou en contrat aidé. Fin 2006, on comptait 6 900 conventions signées sur l’ensemble du territoire français (Source : Dares 2006). L’objectif initial de 10 000 postes n’est pas atteint à cause de freins institutionnels et statutaires ; de la décision d’arrêter le dispositif, suivie du revirement de novembre 2005 ; de l’insuffisante professionnalisation des petites associations potentiellement visées.
L’enquête du CEE réalisée entre octobre 2005 et mars 2006 fait suite à celle de 2001-2002 (Baron, Nivolle, 2003). Elle se compose de 67 entretiens auprès d’employeurs et de salariés dans 30 structures (23 associations, 4 collèges, 3 communes) d’Ile de France, du Nord et du Rhône. Une dizaine d’entretiens ont également été menés avec des responsables institutionnels chargés de la mise en œuvre et du suivi de la mesure.
Cette recherche met en évidence quatre manières de concevoir la médiation selon l’organisation de la structure et les objectifs fixés à cette activité :
- Un accompagnement individualisé fondé sur la relation d’aide, conçu par des professionnels sur la base de leur expertise et de celle des pouvoirs publics pour faciliter l’insertion des personnes et la cohésion sociale ;
- Une intervention initiée par des professionnels du travail social visant à peser sur les institutions et l’autorité politique ; la démarche articule une relation d’aide et une action collective pour la reconnaissance des identités culturelles plurielles et la participation des habitants à la vie de la cité ;
- Un accompagnement individuel, fondé sur une proximité sociale et culturelle avec les habitants ou une auto-expérience des situations afin de faciliter l’accès aux droits, d’aider dans les différentes démarches de la vie quotidienne ou de favoriser le lien entre les personnes ;
- Une action visant l’émergence d’un espace de citoyenneté et de mobilisation collective.
Du côté des employeurs, nous avons distingué quatre usages de la mesure :
- Pour la moitié des associations rencontrées, le contrat aidé constitue une aide au développement des activités largement assurées par le bénévolat, pour améliorer les conditions de vie dans les quartiers populaires, à partir d’un diagnostic des difficultés que rencontrent ses habitants ;
- Dans une douzaine d’associations de santé dite « communautaire » et d’insertion sociale et professionnelle, le contrat aidé permet à une personne engagée pour son expérience de vie et son militantisme, ou son appartenance à un même milieu culturel, de conduire une action expérimentale auprès de populations spécifiques ;
- Un objectif principal d’insertion professionnelle dans une fonction de médiation et/ou un emploi durable, pour peu d’employeurs mais un nombre élevé de conventions : une association d’Éducation populaire et des structures rattachées au secteur des transports ;
- Une aide à l’expérimentation d’une fonction nouvelle au sein de collèges ou de communes : pour ce petit nombre d’employeurs et de conventions, la fonction de médiation renforce d’autres mesures locales autour de l’école ou d’activités d’animation des quartiers, et consiste aussi à régler des conflits et apaiser des tensions.
La professionnalisation dans la médiation sociale s’apprécie par le devenir des personnes, celui des métiers et celui de la fonction. Le devenir des personnes dépend de leur engagement pour obtenir un diplôme, un titre ou une certification, et de la capacité des employeurs à soutenir cet effort. Il suppose surtout la capacité des pouvoirs publics à accompagner le projet professionnel des personnes en contrat aidé. Au cours de cette enquête, le devenir des Adultes relais apparaît conforté par des perspectives de formation dans un métier ou un emploi qualifié au terme du dispositif. Cependant, un titre reconnu et transférable ne peut conduire à un emploi que si des débouchés réels existent sur le marché du travail pour cette qualification. Le devenir des emplois renvoie à la capacité des employeurs, des secteurs concernés et des pouvoirs publics à financer cette fonction
Entre grèves et conflits : les luttes quotidiennes au travail
#49 - juin 2008 - Sophie Béroud, Jean-Michel Denis, Guillaume Desage, Baptiste Giraud, Jérôme Pélisse
Les mouvements de grève dans les services publics déclenchent, de façon récurrente, des commentaires « définitifs » sur des conflits du travail devenus l’apanage de quelques « catégories privilégiées ». Les agents du public, les cheminots en tête, abuseraient de l’arme de la grève alors que, dans un secteur industriel exsangue, les salariés confrontés aux délocalisations et aux fermetures d’usine, s’orienteraient vers des formes d’action radicales. L’objet de ce rapport consiste à déconstruire ces représentations dominantes en les soumettant à un examen critique et informé.
La réalité des conflits du travail en France, dans l’ensemble du secteur marchand, demeure, de fait, largement méconnue. L’intensité des grèves dans les entreprises s’est indéniablement affaiblie au cours des trois dernières décennies sans pour autant signifier la disparition des conflits dans le monde du travail. L’exploitation d’enquêtes statistiques initiées par le ministère de l’Emploi tend même plutôt à montrer une hausse significative du nombre d’établissements touchés par des conflits sociaux entre 1998 et 2004. Ces enquêtes permettent par ailleurs d’appréhender finement une situation beaucoup plus complexe. En mesurant les formes de conflictualité avec arrêt de travail (la grève de plus de deux jours, de moins de deux jours, le débrayage) et sans arrêt de travail (grève du zèle, refus d’heures supplémentaires, manifestations, pétitions), l’analyse permet de restituer la diversité et l’évolution des pratiques contestataires utilisées au quotidien dans les entreprises. Elle montre également comment s’articulent ces formes collectives et des formes individuelles de conflictualité (repérées par les sanctions subies par les salariés, mais aussi leur absentéisme ou leur recours aux prud’hommes), voire comment ces registres se brouillent (par exemple autour des refus d’heures supplémentaires en forte augmentation). Elle confirme enfin que la négociation et l’action collectives, que l’on présente souvent comme des pratiques opposées, ne s’excluent pas mais se combinent, et relativise ainsi fortement l’idée du conflit comme produit du manque de dialogue social.
L’analyse de ces différents paramètres permet de comprendre à la fois les continuités dans la pratique de la grève et les transformations en cours, dans des secteurs marqués par différentes formes de précarité.
À-propos du “travail soutenable”. Les apports du séminaire interdisciplinaire “Emploi soutenable, carrières individuelles et protection sociale”
#48 - juin 2008 - Michel Gollac, Sandrine Guyot, Serge Volkoff
Entre juin 2005 et janvier 2007 un séminaire a réuni, au Centre d’études de l’emploi, des chercheurs de diverses disciplines, autour de la thématique générale « Emploi soutenable, carrières individuelles et protection sociale ».
Quatorze sessions d’une demi-journée ont eu lieu, espacées de quelques semaines. Les participants étaient, soit des membres permanents pressentis dès le départ par les organisateurs, soit des orateurs sollicités pour une séance particulière, soit – plus rarement, et notamment lors d’interventions d’invités étrangers – d’autres chercheurs ou praticiens directement concernés par le thème abordé. Parmi les orateurs et les participants (voir leur liste en fin de rapport), on note la présence de chercheurs en sociologie, ergonomie, économie, gestion, démographie, épidémiologie, psychologie.
Chaque séance comportait un ou deux exposés et un large temps de discussion. On a souvent cherché à regrouper dans une même séance des exposés portant sur un objet commun, mais abordé au travers de prismes disciplinaires et/ou méthodes d’analyse différents. Les séances ont fait l’objet d’une retranscription analytique (non littérale), sous la responsabilité des animateurs scientifiques du séminaire : Michel Gollac, Sandrine Guyot et Serge Volkoff. Ces retranscriptions, ainsi qu’une présentation synthétique de l’ensemble, rédigée par ces trois auteurs, constituent le présent rapport.
Aléas de carrière, inégalités et retraite
#47 - juin 2008 - Najat El Mekkaoui de Freitas, Cindy Duc, Karine Briard, Bérangère Legendre, Sabine Mage
La diversité des parcours de vie (âge d’entrée dans la vie active, vie familiale, santé et espérance de vie, inactivité, chômage…) n’est pas sans incidence sur les départs à la retraite et sur le niveau de vie des retraités. Cette diversité est ainsi devenue un thème central dans la réflexion sur les systèmes de retraite. Les parcours professionnels et familiaux sont-ils plus accidentés pour les femmes que les hommes ? Les aléas de carrière sont-ils plus nombreux pour certaines tranches d’âge, pour certaines générations ? Comment faut-il compenser les interruptions d’activité ? Quel est l’impact de ces différents aléas sur le montant des pensions de retraite ? En lien avec ces questions, celle des inégalités de revenus est à l’évidence de premier ordre dans la réflexion.
L’étude propose dans un premier temps, à partir des enquêtes Emploi (1990, 1995, 2005) et Patrimoine (2003-2004) de l’Insee, une analyse des accidents de carrière et des inégalités de revenus parmi les actifs et les retraités et ainsi met en évidence de nouvelles tendances quant à l’évolution des trajectoires professionnelles, notamment selon le genre et la génération. La mobilisation de différents indicateurs (notamment le coefficient de Gini) permet ensuite de déterminer les groupes d’actifs et de retraités les plus inégalitaires en fonction de nombreuses caractéristiques socioéconomiques et socio-démographiques. Dans un second temps, une analyse des conséquences des parcours heurtés sur les droits à la retraite est menée. Principalement touchés par les aléas de carrière, les seniors font au préalable l’objet d’une étude spécifique qui permet également de faire le point sur les différents dispositifs en faveur de l’emploi des seniors. Enfin, une évaluation de l’incidence de la prise en compte du RMI et d’un allégement de la décote sur les droits à pension est effectuée.
Les politiques des entreprises en matière de certification et l'utilisation de la validation des acquis de l'expérience
#46 - mai 2008 - Marie-Christine Bureau, Solveig Grimault, Yves Lochard, Marie-Christine Combes, Nathalie Quintero, Carole Tuchszirer
L’étude réalisée à la demande de la Dares vise à rendre compte de la façon dont des entreprises, des branches professionnelles mais également des associations se sont appropriées cette nouvelle voie d’accès à la certification que constitue la validation des acquis de l’expérience (VAE), principe introduit par la loi de modernisation sociale de 2002. Si nombre d’études se sont déjà penchées sur les motivations des personnes qui individuellement ont eu recours à la VAE pour obtenir un titre ou un diplôme plus, rares sont celles qui se sont intéressées aux pratiques des entreprises au sens large. Quinze monographies ont donc été réalisées auprès d’acteurs économiques de façon à rendre compte des motivations qui ont été les leurs lors du recours à ce nouvel outil. Si la certification ne constitue pas une fin en soi pour les entreprises qui ont fait appel à la VAE, on constate néanmoins que cette dernière constitue bel et bien un outil de gestion des ressources humaines mis au service d’une stratégie plus large dont l’étude rend compte. Il ressort de ce travail monographique quatre logiques d’usage de la VAE par les entreprises, les branches et les associations.
Dans la plupart des cas rencontrés, les stratégies de mise en place de la VAE trouvent leur origine dans la nécessité de valoriser les personnes et les métiers peu considérés tout en conférant plus d’objectivité aux pratiques de promotion interne.
Dans les entreprises en restructuration, la VAE peut venir s’intégrer à une politique préventive de gestion de l’emploi, comme c’est notamment le cas dans le secteur textile. La certification par la VAE peut alors être mobilisée comme un moyen d’accroître les possibilités de reconversion des salariés, dans un espace de mobilité inter branches.
La VAE a également suscité l’intérêt d’entreprises ou d’organismes qui interviennent, de diverses façons, dans la gestion des trajectoires d’emploi – entreprises de travail temporaire, associations d’insertion et d’aide par le travail, associations d’artisans compagnons.
Dans les secteurs constitués de petites structures, qui ne disposent pas d’outils propres de gestion des ressources humaines, la promotion de la VAE auprès des employeurs apparaît comme un moyen d’oeuvrer pour l’avenir des entreprises et du secteur comme c’est le cas lorsque celui-ci est règlementé (la coiffure par exemple).
De façon plus transversale, l’étude met également en lumière les tensions qui peuvent naître de l’usage collectif d’un droit individuel, ainsi que les différences de perception que les employeurs et les salariés peuvent avoir de la VAE, reflet d’un éventuel décalage entre les stratégies des uns et les attentes des autres. Enfin, l’étude conclut par une réflexion plus générale sur les questions de justice que la mise en œuvre de la VAE ne manque pas de soulever, en particulier à l’occasion des opérations collectives examinées ici.
Les marchés du travail européens : une typologie sur la base d’indicateurs de qualité de l’emploi
#45 - mai 2008 - Lucie Davoine, Christine Erhel, Mathilde Guergoat
Ce rapport propose une approche critique des indicateurs européens de la qualité de l’emploi tels qu’ils ont été définis au sommet de Laeken en 2001. Il repose sur une analyse théorique et empirique, et montre la nécessité d’introduire des variables complémentaires telles que les salaires, les conditions de travail et la durée de formation. Les comparaisons menées sur les 27 pays membres de l’Union européenne confirment l’hétérogénéité de la qualité de l’emploi en l’Europe. De plus, une analyse longitudinale montre que la qualité de l’emploi a tendance à augmenter depuis 1994, à quelques exceptions près. Dans l’ensemble, les résultats empiriques ne révèlent aucune contradiction entre performances quantitatives du marché du travail et niveaux de qualité de l’emploi.
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Le faux consensus sur l'emploi des seniors
#44 - mai 2008 - Guillaume Huyez-Levrat
La CFDT, signataire de l’ANI sur l’emploi des seniors, a souhaité disposer d’éléments d’analyse sur la mise en œuvre d’actions pour l’emploi des seniors et sur la prise en compte de ces objectifs par ses équipes. L’étude analyse les raisons pour des entreprises (neuf monographies) d’agir sur l’emploi des seniors – soit pour chercher à les conserver, soit pour en recruter en réponse à leurs problématiques de ressources humaines ainsi que les raisons des salariés eux-mêmes de vouloir rester en emploi. Elle met en évidence un décalage entre ces raisons locales et les registres argumentatifs mobilisés par les pouvoirs publics et les partenaires sociaux à leur niveau central pour justifier les politiques de vieillissement actif. On est alors face à un « faux consensus » sur l’emploi des seniors. Les justifications de type économiques (pénurie de main-d’œuvre, financement des systèmes de protection sociale par exemple) et civiques (lutte contre les discriminations âgistes) aux objectifs d’allongement des carrières mobilisés par les pouvoirs publics et les confédérations syndicales de travailleurs et patronale ne font majoritairement pas sens pour les acteurs locaux. En outre, l’utilisation des critères d’âges pour organiser les parcours professionnels et l’utilisation des plus âgés comme variable d’ajustement dans les opérations de recomposition quantitative et qualitative de la force de travail résulte d’un compromis social vieux de plus d’un siècle qu’il est difficile de renverser. Surtout, sortir de cette logique imposerait d’accepter que d’autres mécanismes soient mis en œuvre pour organiser la sélection et la hiérarchisation des travailleurs et de forger un nouveau consensus social sur l’évaluation par les compétences. Un tel choix ne va pas de soi, notamment parce que faute de savoir quoi faire de ceux qui seraient les perdants d’un tel mécanisme, le risque est grand de voir s’accroître la polarisation du marché du travail. Quelques pistes d’action sont données pour dépasser ce faux consensus. Elles visent : les intermédiaires de l’emploi qui doivent être en capacité de casser l’homogénéité des recrutements ; les entreprises qui doivent pouvoir agir sur les différentes facettes de la motivation des travailleurs ; les équipes syndicales qui doivent pouvoir s’engager dans une négociation sur les compétences. Il ne s’agit pas ici de dire que ces trois acteurs doivent se limiter à un seul type d’action. Au contraire, intermédiaires de l’emploi, syndicats et organisations patronales (et en particulier les fédérations professionnelles) doivent être en mesure d’engager un dialogue soutenu sur chacune de ces questions.
L’analyse s’appuie d’une part, sur un état des lieux de la littérature existante sur ce sujet afin de replacer les observations dans un cadre historique et social ; d’autre part, sur la réalisation de monographies dans neuf entreprises relevant de secteurs d’activités (Cafés-Hôtels-Restaurants, Transports routiers, Banque…) connaissant des problématiques en termes de pénurie de main-d’œuvre, de stabilisation du personnel et de changements organisationnels. L’observation a privilégié des secteurs connaissant des difficultés spécifiques liées à la pénurie de main-d’œuvre ou à la stabilisation du personnel qualifié, en faisant l’hypothèse que les entreprises de ces secteurs seraient plus sensibilisées à la question du maintien en emploi des seniors, voire à leur recrutement. Des entretiens ont été réalisés avec des salariés, des militants syndicaux et des responsables de ressources humaines.
Définition des zones témoins pour l'expérimentation du revenu de solidarité active (RSA)
#43 - avril 2008 - Antoine Goujard, Yannick L'Horty
En 2007 et 2008, le revenu de Solidarité active (rSa) qui est un dispositif de lutte contre la pauvreté destiné à se substituer au Revenu Minimum d’Insertion (RMI) et à l’Allocation Parent Isolé (API), a fait l’objet d’une expérimentation dans trente-quatre départements français. Chacun de ces départements a défini une ou plusieurs zones tests, ou zone expérimentale, où la nouvelle allocation a été mise en œuvre. Au total, cinquante et une zones tests ont été choisies par les départements. Afin d’évaluer les effets du rSa, nous avons construit et mis en œuvre une méthodologie permettant de définir des zones témoins dans chaque département expérimentateur. Ces territoires témoins sont sélectionnés de façon à fournir le contre-factuel le plus satisfaisant pour l’évaluation des zones tests, compte tenu des limites inhérentes aux statistiques locales sur les comportements de retour à l’emploi.
Première étape, pour un département donné, on établit une liste de zones témoins candidates dont les caractéristiques socio-démographiques sont comparables à celle de la zone test, notamment du point de vue de la taille (population, nombre d’allocataires du RMI), de la densité de population ou de la situation administrative (canton, CLIS, UTAS, CAS, etc.). Deuxième étape, on effectue le classement parmi toutes ces zones candidates de celles qui présentent le plus de proximité vis-à-vis de la zone test du point de vue des chances d’entrer en intéressement estimées en mobilisant les données de gestion de la Cnaf. Pour cela, on reconstitue chaque semestre les taux d’entrée en intéressement à l’échelle communale de juin 2002 à juin 2007 en neutralisant les effets de composition des allocataires selon les caractéristiques observables dans le fichier de gestion. Troisième étape, les zones témoins sont proposées aux départements expérimentateurs qui peuvent faire des contre-propositions argumentées, en cas de désaccord.
En pratique, le choix de cette procédure itérative a permis de produire un bon compromis entre le principe d’uniformité nationale dans la procédure de sélection des zones témoins et la valorisation des systèmes d’information locaux et des connaissances de terrain. Près de 80 % de nos premiers choix de zone test ont été acceptés par les départements (quarante sur cinquante et un). Pour les 20 % restants, nous avons pu tester les contre-propositions des départements qui validaient le plus souvent notre deuxième choix de zone témoin. Il n’y a eu qu’un seul cas de désaccord entre validation nationale et locale. Il nous semble que cette expérience originale de construction de zone témoin est riche d’enseignements pour l’évaluation d’expérimentations territoriales et est aussi instructive dans le domaine plus large de la décentralisation et des politiques d’insertion.
Contrat nouvelles embauches (CNE). Enquête monographique auprès de salariés recrutés en mai-juin 2006
#42 - mars 2008 - Bernard Gomel et Dominique Méda, avec Raphaël Dalmasso et Nicolas Schmidt
La suppression du contrat « nouvelles embauches » (CNE) est attendue en avril 2008 de la transposition législative de l’accord national interprofessionnel (ANI) « sur la modernisation du marché du travail », signé le 11 janvier 2008 par les partenaires sociaux (sauf la CGT) et qui demandait aux pouvoirs publics de prendre les dispositions pour que l’obligation de motiver les licenciements « s’applique à tous les contrats ». L’article 9 du projet de loi établi par le gouvernement abroge le CNE et requalifie les CNE conclus antérieurement en « contrat à durée indéterminée de droit commun ». C’est l’aboutissement d’un long parcours juridique inauguré dès la création du CNE (2005) par la saisie du Conseil constitutionnel par des parlementaires et les recours déposés devant le Conseil d’État par les organisations syndicales. Le CNE a également été condamné le 14 novembre 2007 par le BIT sur les deux points principaux qui le caractérisent, l’absence de motivation de la rupture pendant les deux premières années, période de consolidation de l’emploi et des droits du salarié dont la durée n’est pas jugée raisonnable quand la période d’essai des autres CDI n’excède pas six mois en France. Néanmoins, plus d’un million d’embauches ont été réalisées en CNE par les entreprises d’au plus 20 salariés, essentiellement chez les artisans et commerçants de l’hôtellerie-restauration, du bâtiment, de la coiffure, du petit commerce. La suppression du CNE n’interdit pas, bien au contraire, de tirer les enseignements de l’expérience des salariés pour nourrir le débat plus général sur le contrat de travail et sa rupture, dans les petites entreprises en particulier.
Des entretiens menés par le CEE auprès de salariés entre mars et juin 2007 au terme de la première année de contrat (au milieu de la période de consolidation pour les personnes en CNE), il se dégage trois constats principaux qui portent sur l’équilibre du contrat, sur la pression au travail et sur le fait que les embauches en CNE correspondent bien plus à des remplacements qu’à des créations de postes.
Un contrat déséquilibré : l’équilibre du contrat a été présenté comme reposant sur une simplification de la rupture en contrepartie d’une indemnité de rupture et d’un reclassement personnalisé. L’indemnité n’est quasiment jamais versée au salarié (sept cas sur les huit cas rencontrés) qui ignore en général cette disposition. Nous n’avons pas d’information sur le versement des 2 % complémentaires dus par l’employeur à l’Assedic. De même, les salariés au chômage suite à leur licenciement ne font jamais état d’une prise en charge spécifique de la part du service public de l’emploi (SPE).
Un engagement supérieur dans le travail est exigé. Les effets du CNE se manifestent moins sur les conditions de rupture que tout au long de l’activité des salariés. Ils sont nombreux à faire état d’une pression qui va bien au-delà de la durée habituelle de mise à l’épreuve sur le poste, et qui se poursuit toujours au moment de l’enquête, un an après l’embauche. S’ajoutent, mais est-ce vraiment réservé aux salariés en CNE, de nombreux cas de non paiement des heures supplémentaires et de salaires versés avec beaucoup de retard.
Substitution à des CDI de droit commun plus que création de poste : la relation faite par le gouvernement entre simplification de la rupture et création d’emploi n’apparaît pas clairement dans les situations que nous avons enquêtées. Le CNE remplace plutôt des CDI « précaires », il y a peu d’emplois supplémentaires à consolider. En général, les embauches en CNE concernent les emplois traditionnels de l’activité qui ne sont pas particulièrement exposé aux aléas économiques. S’il y a une différence avec le CDI de droit commun et le CDD, celle-ci porte sur les personnes embauchées en CNE, souvent plus en difficultés et disposant de moins de marge de manœuvre sur le marché du travail.
Ce qui apparaît le plus clairement dans notre enquête, c’est la non reconnaissance sociale du CNE, que les salariés constatent particulièrement lorsqu’ils recherchent un logement, lorsqu’ils demandent un prêt bancaire (même un crédit à la consommation). En général, ils n’envisagent pas d’accepter un nouveau CNE. Chez les artisans et commerçants, la proximité quotidienne avec le patron, la taille réduite des équipes de travail, rendent déterminante la qualité des relations interpersonnelles qu’il faut maintenir dans le temps. La simplification juridique des conditions de rupture du contrat expérimenté par le CNE ne conduit pas à la sécurisation attendue par les employeurs.