Connaissance de l'emploi 2008
Produire un moteur en France et en Chine
#60 - décembre 2008 - Clément Ruffier
Il existe, dans l’industrie, un présupposé selon lequel il n’y a qu’un « seul meilleur » moyen de produire un objet technique. Ce déterminisme technologique, auquel les sociologues du travail s’intéressent depuis longtemps, est étudié ici non seulement du point de vue de l’organisation du travail mais aussi des pratiques effectives des salariés.
L’observation de deux chaînes de montage d’un même moteur, en France et en Chine, fournit en effet l’occasion de montrer de quelle manière l’objet produit contraint la façon de produire.
Elle met en évidence des différences dans les choix des deux constructeurs, notamment en matière d’automatisation. Le constructeur chinois ne s’est pas borné à copier la façon de produire française : il l’a adaptée à sa stratégie économique, à sa main-d’oeuvre et à son marché.
En France, les procédures de fabrication sont plus rigides et les salariés sont censés les respecter strictement : l’automatisation est perçue comme le meilleur moyen d’atteindre le niveau de qualité requis. En Chine, les procédures évoluent continuellement. Le travail sur la chaîne s’accompagne de davantage d’autonomie : il prend la forme d’un processus permanent d’essais et d’erreurs permis par une moindre exigence de qualité et par un fort contrôle social exercé sur les salariés.
Les changements d'organisation dans les entreprises
#59 - novembre 2008 - illes Crague, Yusuf Kocoglu et Frédéric Moatty
Souvent utilisée par les économistes, gestionnaires et sociologues, la notion de « changement organisationnel » fait rarement l'objet de mesure à grande échelle.
L’enquête COI-Tic de 2006, réalisée auprès d’environ 13 700 entreprises, a été conçue afin d’analyser les transformations organisationnelles. Recueillies à la fois par le biais de questions fermées et d'une interrogation ouverte, les données permettent de définir et de quantifier trois domaines principaux de changement : la constitution juridique et financière de l'entreprise, la structure de son organisation et ses outils.
Elles convergent pour montrer que, entre 2003 et 2006, les changements sont significatifs dans une entreprise sur cinq et inexistants dans une sur trois mais que, dans la moitié des cas, l’appréciation est plus complexe. La manière de mesurer le changement est donc importante. La combinaison des domaines du changement l’est également, les transformations étant généralement imbriquées.
La VAE : le difficile usage collectif d'un droit individuel
#58 - octobre 2008 - Marie-Christine Bureau, Carole Tuchszirer
La validation des acquis de l’expérience (VAE) est un droit individuel inscrit dans le Code du travail depuis 2002.
Dans la pratique, ce droit a du mal à s’imposer, ce qui semble traduire les limites d’une approche tendant à faire du salarié le seul responsable de son employabilité.
Cette tendance, qui transparaît plus généralement dans le domaine de la formation professionnelle continue, est illustrée par une enquête de terrain portant sur des opérations collectives de VAE.
L’enquête montre les difficultés d’articulation entre usage collectif et démarche individuelle. La VAE est souvent vécue par le salarié comme une aventure solitaire malgré l’investissement initial de l’employeur ou comme un processus conduit et maîtrisé par l’entreprise qui exige peu d’engagement de sa part. Le partage des responsabilités entre employeur et salarié, rendu possible par la loi dite de « modernisation sociale », n’apparaît ainsi que rarement : seule la situation de construction d’un métier en émergence permet une mobilisation de l’ensemble des acteurs autour de la validation des acquis de l’expérience.
Une fonction publique informatisée
#57 - septembre 2008 - Danièle Guillemot
De nombreux travaux de recherche ont montré l’importance de l’informatisation dans la réorganisation des entreprises.
La Fonction publique d’État (FPE) connaît elle aussi des réformes organisationnelles de grande ampleur.
Quel rôle les technologies de l’information et de la communication y jouent-elles ?
Une trentaine d’entretiens préparatoires à la seconde édition de l’enquête Changements organisationnels et informatisation (2006), étendue à la FPE, a permis de recueillir le point de vue de cadres de l’État sur les évolutions des outils informatiques et de l’organisation.
Les cadres interrogés décrivent un système d’information qui, s’appuyant sur de vastes bases de données, évoluerait vers une plus grande intégration des services ou directions ministériels et ouvrirait la voie à une centralisation accrue des décisions. Ils soulignent également l’affaiblissement de certains niveaux hiérarchiques, favorisé notamment par l’introduction de la messagerie électronique. Des évolutions qui peuvent être ressenties comme porteuses de risques, lorsqu’il s’agit de respect des règles administratives, de sécurité des informations partagées ou de confidentialité des données.
Santé précaire au travail : quelques perspectives sociologiques
#56 - juillet 2008 - Sylvie Célérier
Depuis trente ans, les analyses de la relation santé-travail ont permis de mieux comprendre les effets de l’activité professionnelle sur la santé.
Elles ont été moins sensibles à l’impact de l’état de santé sur le travail lorsque les individus, aux prises avec une maladie, désirent poursuivre ou reprendre leur activité.
La notion de santé précaire rend compte des situations dans lesquelles les capacités physiques et intellectuelles sont, en raison de la maladie, marquées par l’instabilité et l’incertitude. Interrogée dans ses rapports au travail, cette notion invite à dépasser les limites des catégories juridiques et à emprunter les pistes ouvertes par la sociologie.
Parce qu’elle dispense, entre autres, du travail, la maladie chronique est toujours objet de jugements moraux (Dodier). Par ailleurs, elle contraint les malades à une gestion « sans fin » de leur vie (Strauss) qui influence leur façon de travailler. Autant de pistes qui invitent au réexamen de certaines dimensions du travail et de son organisation.
Adultes-relais : l'évolution d'une politique de la ville
#55 - juin 2008 - Cécile Baron, Patrick Nivolle, Nicolas Schmidt
Les adultes-relais sont des personnes d’au moins 30 ans, au chômage ou en situation précaire, qui bénéficient d’un contrat aidé pour exercer une fonction de médiation sociale et culturelle dans les zones urbaines sensibles. Inscrite dans la politique de la ville, cette mesure a été conçue en 2000 à l’intention des associations de quartier, puis a été, un an après, étendue aux collectivités territoriales, établissements publics et offices d’HLM.
Elle s’inspire de l’expérience des femmes-relais, nées à la fin des années 1980, dont la fonction de médiation a ainsi été reconnue.
Deux enquêtes qualitatives, à cinq ans d’intervalle, révèlent une grande diversité d’usages selon les utilisateurs. La seconde enquête décèle, quant à elle, un glissement de la médiation collective vers des interventions plus individualisées.
Faute de postes suffisamment créés, la mesure a failli être abandonnée jusqu’à ce que les émeutes de 2005 amènent les pouvoirs publics à la reconduire.
Si la mission des adultes-relais demeure la médiation, ils se sont alors également vu confier une fonction « pacificatrice ».
Combiner théories et méthodes en sociologie du travail
#54 - mai 2008 - Jean-Pierre Durand, William Gasparini, Frédéric Moatty
Partant du constat de la transformation des paradigmes et méthodes en sociologie du travail, un débat quant aux manières de les combiner s’est tenu en 2006 dans le cadre de l’Association française de sociologie. Il a donné lieu à un ouvrage collectif, qui reprend un vaste ensemble de réflexions théoriques et de présentations empiriques.
Trois d’entre elles sont exposées ici.
L’analyse des relations de service illustre les apports mutuels et féconds des approches centrées sur les interactions individuelles et sur les structures globales de l’organisation sociale, alors que l’évolution de la sociologie des professions témoigne des risques qu’il peut y avoir à associer des approches développées à partir d’objets initialement opposés. L’analyse du travail collectif à partir d’une enquête couplée mêlant données statistiques et entretiens approfondis auprès de salariés montre, quant à elle, l’intérêt de mobiliser différents matériaux sur un même objet.
La discrimination à l'emploi des seniors aux États-Unis
#53 - avril 2008 - David Neumark
Aux États-Unis, le vieillissement de la population contribue à accroître le rapport entre le nombre d’inactifs âgés et celui des actifs.
Cette évolution menace l’équilibre des systèmes de retraite et le financement de la protection sociale. C’est pourquoi l’activité des travailleurs âgés constitue un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics : des mesures ont été prises pour lever les obstacles juridiques et limiter les désincitations monétaires à la poursuite d’une activité ; et une politique fédérale a été mise en place pour combattre les discriminations selon l’âge.
Mais le cadre légal apparaît insuffisant, de nombreuses études ayant mis en évidence des pratiques discriminatoires. Pour aider les décideurs politiques à relever le défi du vieillissement démographique, la recherche devrait désormais s’attacher à mieux comprendre les mécanismes des discriminations, en incluant celles liées au genre, à l’origine ethnique ou géographique.
Les salariés âgés face au travail "sous pression"
#52 - mars 2008 - Céline Mardon, Serge Volkoff
L’intensification du travail par accumulation de diverses contraintes temporelles constitue une évolution avérée dans les pays industrialisés. Simultanément, on constate un vieillissement de la population active, peut-être renforcé à l'avenir par l'allongement de la vie professionnelle. Dans ce contexte, comment les salariés les plus âgés vivent-ils le travail sous pression temporelle ? Et quelles en sont les incidences sur la santé .
Selon une enquête menée auprès de 11 000 salariés de plus de 50 ans, 80 % des quinquagénaires exposés à la pression jugent cette contrainte difficile (en particulier si elle remet en cause la qualité de leur travail) et déclarent, davantage que les autres, des troubles de santé (douleurs, fatigue, digestion difficile), révélateurs d'un mal-être. Ces troubles sont toutefois atténués lorsque les salariés réussissent à mettre en oeuvre des stratégies protectrices. De tels constats incitent à rechercher des modèles d'organisation du travail facilitant le maintien de la santé et des compétences tout au long de l'itinéraire professionnel.
Indemnisation et accompagnement des chômeurs : une articulation à reconsidérer
#51 - février 2008 - Carole Tuchszirer
La réforme du service public de l'emploi, adoptée avec la loi du 13 février dernier, vise à fusionner les réseaux opérationnels de l'ANPE et de l'Unedic au sein d'une nouvelle « institution nationale publique ».
Ce changement intervient dans un contexte bien spécifique puisqu'en France les dispositifs d'accompagnement des chômeurs se sont progressivement calés sur le statut indemnitaire de ces derniers : un régime paritaire dit d'assurance, financé par la cotisation sociale (allocation de retour à l'emploi-ARE), coexiste avec un régime dit de solidarité, financé par l'impôt (allocation de solidarité spécifique-ASS), auquel s'ajoute le revenu minimum d'insertion (RMI).
Ces trois composantes ont eu des effets structurants sur les politiques d'accompagnement des demandeurs d'emploi. Ainsi, ces dernières ont été de plus en plus différenciées, non pas en fonction de la situation des chômeurs vis-à-vis du marché du travail mais de l'institution qui finance le revenu de remplacement. La fusion ANPE/Unedic mettra-telle fin à cet éclatement, qui peut être source d'inégalités et d'inefficacité.
Flexibiliser l'emploi pour réduire le chômage : une évidence scientifique ?
#50 - janvier 2008 - Muriel Pucci, Julie Valentin
Faut-il flexibiliser l’emploi pour réduire le chômage ? Cette question est, aujourd’hui encore, au cœur des projets de réforme du marché du travail. Et les propositions qui visent à instaurer de nouveaux contrats de travail y répondent par l’affirmative, arguant que faciliter les licenciements permettrait aux employeurs de davantage embaucher.
Cet argument a le mérite de la simplicité. Il manque pourtant de validation scientifique. Qu’ils soient empiriques ou théoriques, les travaux de recherche en économie n’ont, par exemple, pas réussi à mettre en évidence de façon incontestable l’effet positif sur l’emploi d’une diminution du coût des CDD.
La présentation plus précise d’un modèle inter-temporel de demande de travail en environnement incertain, suivie d’une simulation sur données françaises, montre même qu’une baisse de la prime de précarité peut être défavorable à l’emploi. Au-delà de ce résultat, ce sont l’importance des hypothèses a priori et la faible ampleur des effets observés qui ressortent de l’examen du modèle.